Man with black clothes [PV Caïn]

Elle était là, devant lui, à parler. Simplement. Elle ne s'enfuyait pas, ne l'attaquait pas. Pendant une bref seconde, l'homme se sentit empli d'une sérénité normale. Pas d'un calme glacial. Serein. Kerry Tomas avait semble-t-il traverser beaucoup de choses et ces épreuves lui avait procuré sagesse et calme. Et puis elle était mère à présent. Elle avait évolué en si peu de temps... son chemin avait été long, ardu, mais elle avait fini par connaitre la paix, par réussir à s'en sortir. Auparavant, petite fille qui se noyait dans les sombres abysses, elle avait grandi, s'était endurcie, avait nagé sans discontinuer, puisant dans ses dernières forces, se surpassant, n'abandonnant jamais, ses mouvements confus et hasardeux la tirant parfois en arrière... mais jamais elle ne s'était arrêtée. Nageant contre la terrible Fatalité, résistant à l'attraction obscur qui pesait sur son cœur, ses bras et ses jambes l'avaient porté sans faillir vers la lumière éblouissante de la sortie. Vers la lumière éblouissante du Bien. Et, lorsqu'elle eut enfin percé la fine membrane entre malfaisance et héroïsme, le soleil l'éclairait de ses rayons salvateurs. Elle s'était libérée. Renonçant à son passé pour avancer. Une si prodigieuse chance, une si considérable réussite, un si pharamineux parcours. Kerry Tomas ne se rendait pas compte qu'elle avait réussi là où beaucoup avaient échoué, là où beaucoup avaient succombé de nouveau à leurs instincts. La dernière de ses phrases sonna comme une subtile référence à Sylar dans l'esprit de l'immortel ou peut être même comme une référence à lui-même. Le vouloir ? Le vouloir n'était pas suffisant. La volonté seule ne l'avait pas aidé à changer. C'était les autres. L'être humain est immuable dans sa bêtise, il ne change que pour les autres, que pour ceux qu'il aime, apprécie. Parce qu'il lui faut une raison solide pour changer, une raison suffisante pour lui faire faire des efforts, à lui, paresseux et amorphe citoyen lambda de la société qui l'a vu naître.

Alors que Caïn allait répondre à cette remarque, alimentant ainsi la conversation, des sons bien singuliers surgirent d'une chambre au loin : les cris d'un enfant. Les cris d'un enfant sont une symphonie particulière qui ne fut jamais égalée, car ils représentent tant de choses. C'est un son unique en ce monde. Le son de la vie innocente et immaculée. Sans péchés encore sur le front. Un bruit parfois dérangeant. Des hurlements qui vous réveille la nuit et qui vous transperce l'être pour bien des raisons. A certains, ce son leur rappelle la musique de fracas et de mort, il leur remémore l'odeur des brûlés et des enfants qui pleurent pendant les guerres qu'ils ont faites. A d'autre, ces cris sont ce qu'ils doivent protéger, ce pourquoi ils se battent sans crainte et sans relâche, ils leur donne abnégation et courage. Pour d'autres, c'est la tristesse. Tristesse de ne pas avoir soi-même d'enfants, de ne pas pouvoir en avoir, d'en avoir perdu un. Symbole d'un espoir à jamais perdu. Mais pour l'immortel, plus que tout, ces pleurs revêtaient une forme symbolique bien particulière : le repenti. Ces cris étaient un formidable résultat à l'expérience, à l'hypothèse qu'il avait faite en rapport à Kerry Tomas : "peut-elle retourner à une vie plus honorable, plus normale ?" Lorsqu'il l'avait rencontré, l'ancienne félonne s'était engagée sur cette voie profondément, mais elle restait tout de même encore habité par l'ombre du fantôme de Sylar. A présent, elle était totalement débarrassée de ce spectre qui la hantait. L'expérience était terminée. Dès à présent, Kerry Tomas avait un statut particulier dans l'esprit du pluriséculaire. C'était une repentie. Un personnage intéressant. Une rare réussite.

Il ne bougea pas quand elle partit s'occuper de son enfant. Il n'avait aucun droit de rompre ce moment privilégié entre une mère et son bébé. Peut-être d'ailleurs celui-ci avait-il contribué à accélérer le processus visant à faire passer sa mère du côté du Bien ? Après qu'il ait attendu qu'elle s'occupe de son enfant et que Kerry Tomas revienne, l'immortel se retrouva confronté à une question directe de la part de son hôte. Elle ne semblait pas très contente de l'avoir dans ses murs et s'il pouvait comprendre pourquoi -après tout, il n'était pas vraiment quelqu'un de fortement recommandable- Caïn demeura déçu de la réaction de Kerry Tomas. C'était sans aucun doute encore trop tôt pour qu'elle ait une attitude moins sur la défensive avec lui... mais l'homme aux mille noms devrait bien finir par s'habituer au manque de tact de ses congénères un jour... La regardant dans un mutisme glacial dès lors, un discret sourire en coin vint pourtant ébranler quelques minutes plus tard cette atmosphère qu'il avait lui-même crée :

« Vous ne devriez pas être si méfiante envers moi, Mademoiselle Tomas... après tout, nous ne sommes pas ennemis. N'oubliez pas que plusieurs fois je vous ai aidé : lors de notre première rencontre, je vous ai soigné au Level 5, à notre deuxième, j'ose croire que je vous ai permis de confirmer la nouvelle voie que vous vouliez suivre. Et maintenant, pour répondre à votre question, disons que je suis en effet là pour une raison précise, outre la curiosité naturelle que j'ai à propos de votre enfant bien entendu... Puis-je vous demandez par ailleurs son prénom s'il vous plait ? »

La dernière question avait été posé d'une insidieuse nonchalance, mais revêtait réellement la curiosité de l'immortel, sans malice aucune. Il espérait -espoir, bien grand mot désuet- que Kerry Tomas ferait tout de même preuve d'un tant soi peu de "gentillesse" à son égard. Rouvrant la bouche, il expliqua enfin la raison de sa venue :

« Pour revenir au sujet qui vous intéresse, j'aimerais enfaite que vous me parliez des derniers évènements auxquels vous avez pris certainement part, Mademoiselle Tomas. En revenant de Miami où, cela vous intéressera peut être, j'étais en compagnie de ce cher Rick Baneson et des frères Petrelli, j'ai vu votre discours à la télévision... Et puis, il y a aussi le cas de l'aéroport détruit. Et j'ai comme l'intuition que le soleil lourd de présages ne ment pas et qu'il y a encore une chose de plus... Je peux peut être vous aider, Kerry Tomas. Une mère ne devrait après tout s'inquiéter que pour son enfant... »

Caïn attendait. Et espérait qu'il n'aurait pas à utiliser des méthodes plus violentes pour avoir les choses simples pour lesquelles il était venu : des réponses. Kerry avait toutes les cartes en main et elle devait faire le bon choix.

Qu'est-ce qui se trame pour que chacun sue et se hâte,
Menant sous même joug la nuit et le jour ?
Qui donc peut me répondre ?

What night be toward, that this sweaty haste,
Doth make the night joint-labourer with the day ?
Who is't that can inform me ?
▬ Hamlet. (I, 1)

La jeune femme Rousse semblait désemparée devant les évènements qui éclataient à New York et dont l'immortel tenait à entendre parler. L'ancienne félonne croyait qu'il n'avait cure de la ville, elle se trompait lourdement, comme tout ceux qui ne comprenaient que fragmentairement sa pensée. Cette ville, ce monde lui importait plus qu'à quiconque, car lui qui avait vu passé les décennies pouvait prétendre admirer l'évolution qu'avait engendré l'homme dans sa société. Si l'Humanité était en effet peut être secondaire à ses yeux, sa destruction irrémédiable et anarchique, non naturelle, n'était pas quelque chose qu'il affectionnait particulièrement et qu'il comptait laisser faire impunément. Ainsi, connaitre ces fameuses menaces, les comprendre avec semble-t-il le but de les stopper se révélait essentiel, sinon vital. Même s'il était un fervent défenseur de son objectivité, le pluriséculaire à certaines occasions, ne pouvait rester simple et fervent observateur impassible. Les deux Guerres Mondiales furent l'une des rares occasions où il dût déroger à ses règles de conduite et où il dût s'immiscer au milieu des héros et des gens normaux. Un monstre sans nom combattant d'autres monstres appelés les Nazis, ironique n'est-ce pas ? Si véritablement comme les signes le montrait, la situation était véritablement critique, alors, une fois encore, son apparition sur le devant de la scène, son rôle grandiloquent, ses capacités seraient de nouveau là. Acteur présent, il pourrait jouer ses répliques jusqu'à la fin, jusqu'au dénouement, aussi cruel soit-il. Laisser le monde à la merci d'un autre ? Le laisser s'embraser par un énième ahuri mégalomane et puis contempler les cendres de l’œil vide du perdant ? Très peu pour lui.

Mais Caïn avait confiance en une chose : son talent d'orateur. Même si la plupart des êtres humains étaient têtus et n'écoutaient que d'une oreille distraite des phrases qui leur paraissaient facondes et fades, l'immortel savait que tôt ou tard, à force d'insistance, à force de petites piques visant à fissurer l'armure qu'ils se forgeaient autour d'eux-mêmes, il pourrait obtenir ce qu'il voulait. Kerry n'était pas différente des autres à ce moment précis, les actions étranges et bienfaitrices de Caïn avaient finis par amonceler, tant et si bien que les dettes de la Rousse s'étaient discrètement cumulés ; et aujourd'hui, c'était l'heure de la banqueroute, l'heure de rembourser avec les intérêts. L'armure s'effritait et tombait en miettes à ses pieds, lézardant les défenses qu'elle s'était dressée auparavant. Et finalement, acceptant silencieusement ses demandes, elle lui révéla tout. Ses premières paroles ne tirèrent aucune émotion de l'immortel qui resta impassible face au discours, tandis qu'elle s'asseyait sur son canapé. Des mots bien idéalistes. Des héros, les habitants de la ville ? Il doutait fortement que le message de Kerry ait eu autant de succès qu'elle l'espérait. Peut être même que ses mots s'étaient perdus dans l’œil vitreux et indifférent des téléspectateurs ; croire qu'un simple discours pourrait ébranler un monde en proie au racisme depuis des décennies et qui venait à peine de découvrir une nouvelle cible à haïr était quelque chose que l'Immortel ne pouvait concevoir et qui, s'il n'était pas lui-même plutôt indifférent à ce spectacle aurait pu faire naître un sourire sardonique sur son visage. Si l'aéroport avait été dévasté, ce n'était sans doute pas l’œuvre d'êtres qui, habités par la Peur et la Haine, sinon la Défiance tentaient de croire encore que l'Explosion de New York n'était qu'un attentat "normal".

Héroïsme, courage... Le pluriséculaire ne pouvait que remarquer cyniquement qu'elle évoquait des concepts qu'elle n'avait jamais elle-même vécu et qu'elle ne connaissait pas. Oui, elle avait réussi à prendre un meilleur chemin, à renouer avec des principes qu'elle croyait sans doute à jamais enterré dans son cœur. Cependant, elle n'avait jamais eu qu'à revenir sur le sentier qu'elle avait eu autrefois à quitter. Affronter ceux qu'elle avait autrefois blessé fut une terrible épreuve, le Monstre n'en doutait pas, mais, là encore, elle n'avait eu qu'à faire preuve de ténacité, de force pure de caractère et non de ce sentiment insondable qu'était le Courage. L'Héroïsme, lui, il l'avait vu tous les jours sur le champ de bataille, dans les airs et sur la terre. Le Courage, il l'avait vu aussi opérer. Prodigieux pouvoir, peut être plus puissant que tous ceux qu'il avait pu croiser dans son interminable existence, il dotait ceux qui l'avaient d'une autorité naturelle, au-delà des mots et d'un regard inflexible qui ne cillait jamais. Il consentit à laisser ses réflexions au simple et pur état de pensée lorsqu'il vit le sourire sur ses lèvres. Pour qu'elle ne lui cache rien, il lui fallait gagner sa confiance et ne pas briser d'une remarque sarcastique ses élans de foi dans le New-Yorkais moyen. C'était une chose nécessaire, lui laisser quelques bouffées d'espoir ne pouvant que compléter et terminer sa métamorphose en mère de famille honnête, après tout. Puis, enfin, ce fut l'information tant attendu, tant désiré. Les Sons n'étaient plus et n'étaient de toute façon pas les coupables cette fois-ci. Une créature de cauchemar avait émergé du néant et était apparemment un destructeur de mondes invincible.

Un Monstre happant tout, écrasant tout, détruisant tout, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Plus rien que désolation muette et silencieuse... L'ennemi ainsi brossé à gros traits par Kerry Tomas semblait insurmontable et de surcroît pas le genre de ceux qu'on peut arrêter. Pourtant, aucun être, quel qu'il soit, n'était invulnérable, n'était si parfait qu'il ne pouvait avoir de failles. Caïn le savait, humble qu'il était, que se croire redoutable parce qu'il possédait un pouvoir très proche du concept de l'Immortalité et aux grandes possibilités était futile, sinon dérisoire. Tout finirait en lambeaux, irrémédiablement, face à l'Invraisemblable Terminus. Celle qui marquerait la fin de la suprématie de l'Homme sur la Terre. Tout disparaitrait dans un Big Bang imaginatif et incompréhensible, tout serait rasé, détruit définitivement, comme si tout cela n'avait jamais existé. Des civilisations entières, mu dans le Néant en un claquement salvateur de doigts. Et cette Apocalypse fantastique, cet Armageddon splendide, naturel, ne devait pas être empêché. Quelque soit le Destructeur, quelque soit la menace, quelque soit le prix à payer, l'Immortel, le Spectateur ferait ce qu'il avait à faire, en dépit du bon sens et des valeurs de l'Humain. Certaines personnes doivent parfois marcher sur le fil grisâtre du destin, oscillant entre toutes choses, comprenant la vastitude du monde qu'il avait à parcourir ; ne se dérobant jamais. La jeune femme leva ses yeux vers lui, lourds de sens par rapport à sa dernière phrase. Déclarant qu'elle avait une solution, elle se ravisa en suite sous un prétexte fallacieux. Connaissait-elle le fameux Dévoreur ?

Tout semblait le faire croire. Cette hésitation soudaine pour ce qu'elle présentait elle-même comme un désastre... cette dernière phrase, plus pessimiste que jamais alors qu'elle aurait dû être une simple mère, heureuse. Caïn envisagea la situation la plus pénible et inscrit l'hypothèse dans son cerveau : et si le père de cet enfant et le Dévoreur n'étaient qu'une seule et même personne ? Cependant, l'immortel ne pouvait la laisser abandonner New York et le monde, simplement parce qu'elle ne voulait pas que celui qu'elle aime meurt. Alors qu'il allait ouvrir la bouche pour lui faire remarquer, l'image d'Asami lui apparut. Quel stupide raisonnement... et lui, aurait-il laissé tuer Asami pour sauver ce monde qu'il avait si longtemps regardé ? Laisserait-il des milliards de personnes mourir pour protéger la nippone ? Envers et contre tous, serait-il son ultime rempart contre l'Humanité ? La réponse ne tenait qu'en un mot, qu'en un souffle, « Oui. » . Une réponse franche, évidente, qui s'imposait. Sereine. Presque normale. Pouvait-il donc la blâmer pour ce qu'elle ressentait ? Pour son hésitation ? Non. Il ne pouvait s'arroger ce droit. Même si c'était un devoir. Son regard croisa celui de la Journaliste et l'immortel se mura dans le silence pendant quelques instants, réfléchissant aux mots qu'il allait prononcer, prenant soin de bien formuler ce qu'il devait lui dire. Finalement, lentement, il consentit à converser.

« Il se lèvera Kerry Tomas. Votre enfant verra nombre de fois notre étoile se lever. Enfin, seulement si vous, vous finissez par accepter la Réalité. Il semble que vous connaissiez cette "créature", ce Destructeur. Vous avez hésité. Pourquoi ? Qui est-il ? Que me cachez-vous avec tant d'ardeur ? »

L'immortel la toisait, sa voix était douce, visant à ne pas la brusquer plus que nécessaire. Mais elle devait comprendre... elle devait comprendre la nécessité de tout ceci. L'image d'Asami refit surface. Son cœur se glaça, devenant plus froid qu'avant, sa résolution plus féroce. Il chassa l'image de la Japonaise, concluant sa question mentale d'il y a peu, d'une autre réponse : « Non. »