Le mal n'est jamais spectaculaire. Il a toujours forme humaine, il partage notre lit, et mange à notre table...
W.H. Auden
Plus j'y réflechis, plus je me dis que je suis en train de faire la pire connerie de toute mon existence. Quelques heures plus tôt, je faisais la pêche aux infos dans le but de trouver Sylar, ou du moins quelqu'un sachant ou il se trouve, et voilà que je tombe sur un agent de l'O.W.I. qui manque de me griller sur place grâce à l'électricité contenue dans son corps. J'espère que le coup que je lui ai envoyé en plein menton lui a appris qu'il valait mieux ne pas tenter de recommencer à me chercher des noises. Je lui ai promis que toute la Compagnie s'en mordrait les doigts si jamais on tentait de me marquer ou de me faire le moindre coup tordu, mais seule dans une bâtisse entièrement remplie... Je commence à frissonner de peur. Et non à cause du froid, pour une fois. La dernière fois que l'angoisse m'a étreint le coeur, c'était il y a environ cinquante ans. Quand Hitler a décidé de rafler tous ceux qui n'appartenaient pas à la "race pure", comme il l'appellait... Quel pauvre crétin... Il aurait mieux fait de ne pas penser à autre chose qu'à peindre des tableaux...
Etant indienne, je faisais effectivement partie des premières cibles du tyran, et quitter l'Allemagne en douce n'avait pas été une mince affaire. J'ai laissé beauoup trop de monde derrière moi, ce jour-là... Et beaucoup d'amis qui, comme moi, n'étaient pas allemands... Je suis la seule à avoir survécue...
Je secoue la tête, comme pour me débarrasser de ces pensées affreuses. Je ne crains pas les humains. Enfin, je ne les crains plus maintenant. Mais la Compagnie héberge d'autres gens comme moi, dont certains peuvent être extrêmement plus puissant que moi. Je n'ai pas la moindre envie de me retrouver seule face à une douzaine de Sylar déchaînés, alors mieux vaut pour moi d'agir prudemment, et de me servir d'abord et avant tout de mon crâne...
Bravant la tempête de neige qui s'est abattue sur la ville, je pousse les lourdes portes du QG de l'O.W.I. pour pénétrer dans le hall, sans grande cérémonie. Excepté un vieux gardien, qui me fait un sourire avant de se replonger dans son journal. Je sens d'ici qu'il est aussi "spécial" que moi. Cependant, je suis totalement incapable de dire quelles sont ses capacités.
Pendant un instant, je regrette de ne pas vivre dans le roman de Sergueï Loukianenko, ou les personnages "spéciaux" peuvent rentrer à loisir dans une autre dimension pour parfaitement sonder le potentiel de l'autre. Sans me conférer un avantage, cela m'aurait au moins permis de me mettre sur un pied d'égalité avec les autres...
Je lui réponds par un signe de tête poli, avant de regarder autour de moi. Mes cheveux s'agitent comme une crinière de lion, mais ils ont perdu leur reflet blond. Quitte à venir dans une boîte militaire, je préfère ne rien avoir qui puisse me faire repérer si je peux me déplacer dans l'obscurité. Quelques heures d'attention, et la teinture blonde avait fini par céder, relâchant mes mèches avec regret pour s'enfoncer en tourbillonnant dans l'évier qui allait la conduire vers son lieu de repos éternel...
Mais quelque chose cloche. Je pourrais être Sylar en personne, et personne ne garde l'entrée, à moins que ce vieux bonhomme ne puisse être de taille à lutter, même s'il n'en donne pas l'air. Mais j'ai appris à me méfier des apparences... Pourtant, Ethan Sorrow, l'homme qui m'a expliqué comment venir ici, m'a assuré que quelqu'un serait là pour m'expliquer en quoi je pourrais être utile à la Compagnie. Je regarde mon portable. 13H59.
J'ai une minute d'avance sur l'heure prévue, et alors ? Je le remet rageusement dans ma poche, frôlant au passage le 9mm accroché à ma ceinture. Sans compter le couteau de chasse à ma cheville, ainsi que le fusil à canon scié et le uzi dans mon sac à dos, je ne suis pas armée. Mais je préfère être prudente.
Néanmoins, si jamais je passe sous un détecteur de métaux, ils vont tellement sonner que l'alarme se fera entendre dans toute la ville...
Impatiente, je lance au vieux gardien :
"Excusez-moi, j'ai rendez-vous ici. Vous ne sauriez pas ou..."
Il ne me réponds même pas, ne lève même pas la tête, mais se contente de désigner du doigt quelque chose dans mon dos. Faisant volte-face, je vois une très jolie jeune femme, elle aussi évoluée, avancer vers moi. Voici mon comité d'accueil, en fin de compte...