[Miami] L'espadon (PV Angela)

Fernando LaGueppa foulait le trottoir bordant la plage de ses longes enjambées nerveuses. Il était suspendu à son téléphone et vociférait à l'encontre de son interlocuteur, ne prêtant aucune attention aux passants qu'il bousculait et qui lui balançaient nombre d'insultes en anglais ou en espagnol. La journée était douce et ensoleillée malgré cette fin de mois de décembre. Le Cubain portait une chemise blanche à fleurs rouges ouverte jusqu'au torse. Une chaîne imposante ornait son cou et un pendentif en forme d'espadon y était accroché. Ses cheveux noirs et courts délimitaient un visage anguleux où se reflétaient la violence et la haine.

Non loin de là, une jeune femme bronzait, allongée sur un transat situé au milieu de la plage. Un bikini turquoise mettait en valeur ses formes généreuses et sa peau luisait à cause de la crème solaire. Lorsque LaGueppa passa à sa hauteur, quelques mètres derrière elle, sa main s'empara de son petit sac noir. Elle enfila un short blanc, un débardeur noir et se leva. Bien qu'elle les portait, elle n'avait même pas besoin de ses lunettes de soleil pour dissimuler le regard qu'elle rivait sur l'homme, car celui-ci était bien trop occupé par sa conversation téléphonique.
Tout en le suivant, elle fouilla dans son sac et en sortit des clés. Le Cubain raccrocha son téléphone, fou de rage et entra dans sa voiture garée dans un parking côtier parsemé de palmiers. La jeune femme se dirigea vers une Ducati 750 SR jaune et l'enfourcha avec aisance. Elle mit le contact en même temps que l'homme qu'elle suivait et prit la même trajectoire, une vingtaine de mètres derrière lui. Elle ne portait pas de casque et ses longs cheveux bruns virevoltaient au gré du vent provoqué par la vitesse du bolide.
Sa cible continuait sa route, adoptant une conduite aussi agressive que son ton et son attitude envers les gens au bord de la plage, quelques instants plus tôt. Il était le roi, et personne n'avait intérêt à se mettre en travers de son chemin. Il eut droit à plusieurs coups de klaxons lorsqu'il doubla d'autres véhicules avec sa Porsche Carrera rouge. La jeune femme l'imita et eut droit au même traitement de faveur. Elle serpentait de rue en rue, tout comme lui, traversant le centre de Miami avant d'arriver en périphérie, où les hôtels se faisaient moins nombreux, laissant place à de larges et luxueuses villas soigneusement alignées dans des rues fleuries où tout semblait propre et parfait. La voiture continua à rouler encore quelques temps, revenant peu à peu vers la côte pour finalement arriver aux docks de la ville, situés à côté du port. Des camions y circulaient dans tous les sens, les grues entreposaient des conteneurs de diverses couleurs dans des fracas métalliques assourdissants.

Fernando se gara à l'entrée de docks sans se soucier qu'il était interdit de se stationner à cet endroit-là et entra dans la zone industrielle. Le garde qui était censé surveiller le passage dormait à poings fermés, une revue de tourisme posée sur le visage. Le Cubain connaissait visiblement les habitudes du vigile et ne se soucia même pas de lui, le laissant à sa sieste journalière. Il s'engouffra au milieu des grands conteneurs disposés en rangées sur le quai et sortit un pied de biche caché dans son dos, sous sa chemise. De son autre main, il appuya sur le bouton d'un petit objet noir qui déverrouilla une camionnette garée non loin de là, en plein milieu de l'étendue bétonnée. Il s'approcha d'un box et brisa d'un coup puissant la chaîne cadenassée qui le fermait. Il ouvrit lentement la lourde porte métallique qui émit un grincement comparable à une plainte sinistre. A l'intérieur, une quarantaine d'yeux étaient rivés sur lui, apeurés et emplis de larmes pour certains. LaGueppa leur cracha quelques injonctions méprisantes et accompagna ses paroles d'un geste vers la sortie, pointant son pied de biche vers celle-ci. Les groupe d'enfants et de femmes sortit en troupeau serré, gémissant de panique. Le Cubain les pressa vers la camionnette, les injuriant en espagnol, et les entassa comme des bêtes à l'arrière du véhicule. Il verrouilla celui-ci après y avoir jeté un dernier enfant à la traîne et se dirigea vers le siège du conducteur. Il démarra et roula pendant une vingtaine de minutes avant d'arriver dans une vieille décharge pour automobiles. Il gara la camionnette devant un grand garage désaffecté et y fit entrer le troupeau d'innocents terrorisés. Il claqua brutalement la porte, les enfermant dans l'obscurité la plus totale. Cet entrepôt était à l'abri des regards, protégé par un amoncellement de carcasses de véhicules amorphes et rouillés.
Fernando s'apprêta à remonter dans la camionnette lorsqu'un cliquetis le stoppa net. Il se retourna et se retrouva nez à nez avec le canon silencieux d'un 9 millimètres froid et menaçant.

- Du traffic d'immigrés ? Ce n'est pas très sain comme activité, vous ne trouvez pas monsieur LaGueppa ?

La femme qui posa cette question était dotée d'un accent anglais tout à fait charmant, mais les mots qu'elle prononçaient à ce moment-même ne sonnaient pas aussi bien aux oreilles du Cubain. Celui-ci leva les mains dans un geste de reddition et éclata d'un rire aussi gras que monstrueux.

- Hola, siñorita ! Je parie que c'est el señor Molina qui vous envoie, n'est-ce pas ? Je lui ai dit que je ne lui paierais pas sa part s'il ne respectait pas notre compromis. C'est à lui de se blâmer, comprendo ?

La jeune femme ne bougea pas d'un cil et laissa le canon de son pistolet silencieux braqué entre les deux yeux de LaGueppa.

- Vous savez, je n'ai pas besoin d'écouter votre discours de beau-parleur. On m'a donné une mission et tout ce qui m'importe, c'est de l'accomplir et de repartir incognito.

L'homme hocha de la tête en souriant. Tout à coup, son rictus disparut, ses mains s'abaissèrent et il se mit à courir aussi vite qu'il le put. Pas longtemps à vrai dire, car un sifflement résonna et une balle vint se loger dans sa nuque. Il s'écroula sur le ventre et ne bougea plus.

- Je déteste quand ils se mettent à courir, se plaignit la jeune femme.

Elle rangea son pistolet dans son sac et se dirigea vers le cadavre avec la ferme intention de le faire disparaître. Mais elle s'arrêta, pensive, puis se mit à fouiller les poches de sa victime. Elle y trouva la clé du grand garage désaffecté, qu'elle ouvrit. Un à un, les prisonniers sortirent, hésitants et encore apeurés. Quand ils comprirent pourquoi on leur avait ouvert la porte, leurs visages s'illuminèrent et ils inondèrent l'Anglaise de "Gracias" sincères et victorieux. Cette dernière prit son téléphone portable et composa un numéro.

- Monsieur Molina ? Lila Cruz à l'appareil. Mission accomplie. Très bien, je passerai chez vous tout à l'heure.

********************

Lila rentra chez elle de bonne heure. Elle avait loué une chambre avec vue sur mer à l'InterContinental Miami de Chopin Plaza. Elle rangea la liasse de billets délivrée par Molina pour ses services dans un tiroir avec d'autres liasses et contrats, avant de se diriger vers le mini-bar pour se servir une Piña Colada. Elle la sirota pensivement sur sa terrasse, le regard perdu vers l'océan.

Depuis son hospitalisation suite à la violente attaque de Primatech, elle avait retrouvé sa routine, si l'on peut appeler cela ainsi. Elle aimait son job et les sensations qu'il procurait. La menace d'être surprise à n'importe quel moment, de se trouver face à un retournement de situation, un individu dangereux et plein d'autres imprévus encore. Avant la capture de Sylar, tout cela plaisait à Lila. Mais depuis ce moment si particulier où elle avait réellement échappé à la mort à deux reprises, où l'adrénaline avait atteint son plus haut taux, elle n'éprouvait plus la même sensation à l'égard de son boulot de tueuse à gages.
De plus, une longue conversation avec Ethan Sorrow à l'hôpital de New York l'avait fait réfléchir à propos de beaucoup de choses. La lutte n'était pas finie. Arthur Petrelli avait peut-être disparu, mais Sylar et d'autres criminels couraient toujours. Parfois, elle s'imaginait le neutraliser définitivement. Mais elle en était désormais incapable. En effet, elle s'était entraînée quelques temps à maîtriser de nouvelles facettes de son pouvoir, quand soudainement tout s'arrêta. Elle ne parvenait plus du tout à utiliser son don sans même savoir pourquoi. Par prudence plutôt que par lâcheté, elle décida de s'éloigner de New-York pour reprendre son petit business personnel. De cette manière, elle ne risquait pas d'avoir affaire à Sylar ou à d'autres de ses sbires qu'elle avait rencontrés sur son chemin. Elle n'avait pas besoin de ses capacités hors du commun pour travailler, sa force, son agilité féline et ses réflexes lui suffisaient amplement. Mais malgré tout, elle avait envie de revenir, elle se sentait attirée vers la Grosse Pomme comme par une force invisible à laquelle elle avait du mal à résister. Elle n'avait aucune idée de ce qu'étaient devenus le Français Alex Dumont et la rouquine Kerry Tomas. Elle ignorait où se trouvaient Angela Petrelli et son lâche de fils, Peter. Elle avait œuvré pour une grande cause, et ne savait pas si cela avait servi à quelque chose ou pas.

Elle retourna dans sa chambre et se déshabilla avant d'aller prendre une douche. L'eau fraîche la délivrait de cette chaleur à laquelle elle n'était pas habituée en Angleterre. Même en hiver, il faisait plus de 25°C. Pour les habitants de Miami, c'était un temps assez frais, mais Lila trouvait déjà cette température étouffante. Une fois sortie de la douche et séchée, elle enfila ses sous-vêtements, une robe de soirée noire décolletée et descendant jusqu'à la moitié de ses cuisses musclées. Elle lâcha ses cheveux, d'habitue attachés en queue de cheval et para ses oreilles de boucles d'oreille en pendentif argentées. Elle avait beau être une brute épaisse, Cruz avait gardé une grande part de sa féminité et elle n'hésitait pas à la mettre en valeur. Elle descendit avec l'intention d'aller au bar avant le repas du soir. Ils y faisaient de merveilleux Cuba Libre dont elle ne pouvait plus se passer en début de soirée, avant de reprendre du service à la tombée de la nuit.
Elle prit l'ascenseur et arriva dans le hall et se rendit au bar. Elle commanda son cocktail au barman et le sirota près de la baie vitrée qui donnait sur la piscine, devenue calme à l'heure des repas.
Elle sortit un objet de son sac à main et le contempla longtemps, fascinée. Dans sa main se trouvait le pendentif en or représentant un espadon.

Ainsi donc, les choses ne changeraient jamais.

Apporter le salut à l’Humanité, c’était ce qu’Angela avait pensé être la raison d’être des individus spéciaux. A lieu de cela, ils n’avaient apporté que mort et destruction, sang et conflits. Elle avait pensé fut un temps pouvoir aiguillonner le destin afin d’en tirer le meilleur parti. En vain … du moins pas totalement. Même si les choses ne s’étaient pas déroulées exactement telles qu’elle l’avait entendu, les conclusions, en revanche, s’avéraient identiques à ses projets.

Aujourd’hui, Arthur n’était plus. La menace qu’il faisait peser sur le monde faisait partie du passé, tout comme le sérum qu’il souhaitait tant voir offert à l’humanité. Elle avait prédit la mort de son époux de la main de Sylar, sous la coupe de la Compagnie. Au lieu de cela, c’était sous sa propre gouverne que le tueur avait mis fin aux jours du patriarche des Petrelli. Pourtant, le prix à payer avait été lourd : la perte de la Compagnie. A présent éparpillée, ce qui était autrefois le rempart secret de l’humanité contre ce genre de dérives n’était plus. Quelque part, la disparition des pouvoirs auraient pu être une conclusion des plus salutaires pour le monde. Mais il n’en serait pas ainsi.

Angela le savait. Non pas par l’intermédiaire de l’un de ses rêves. Elle le savait car elle en avait été tout bonnement le témoin. Alors que l’attaque d’Arthur contre l’OWI était à son apogée, une nouvelle fois, des papillons avaient été écrasés. Un homme était intervenu, modifiant de ce fait la destinée d’Angela. Venu du futur, Takeshi Ryu était venu chercher la dirigeante de la Compagnie, l’emmenant en sécurité dans l'avenir. Ce fut à ce moment précis qu’elle fut le témoin de ce qui attendait le monde.

Encore une fois, le scénario était bien peu original : la guerre était encore de mise. Mais cette fois-ci, elle n’avait plus rien de secrète et elle ne se déroulait pas entre deux compagnies. Cette fois-ci, le conflit était d’échelle quasi mondiale. L’humanité luttait pour assurer sa survie, s’opposant à différentes factions d’êtres spéciaux. Ces derniers luttaient également, aussi bien contre l’humanité qui à présent les rejetait, qu’entre eux. Tout ceci pour quelle raison : des divergences d’opinion. La guerre n’avait-elle donc aucune autre manière de démarrer ?

Mais Angela n’était pas dans son époque. Elle ne pouvait et ne devait pas rester passive. Au contraire, forte de ces connaissances, elle devait retourner dans son temps, pour tenter de désamorcer cette avenir catastrophique. Même si la tâche semblait insurmontable, elle devait tout de même tenter l’impossible.

* * *

Plongée dans ses pensées, cherchant une solution, Angela n’entendit pas la jeune femme arriver prêt d’elle.

« Angela … je crois qu’elle vient de descendre, elle est au bar. »

Angela se retourna prestement, attendant visiblement cet instant depuis un moment. Face à elle se tenait une jeune femme n’ayant pas encore la vingtaine. Madame Petrelli lui sourit à l’annonce de cette nouvelle. S’approchant, elle remit une mèche de cheveux flamboyants derrière l’oreille de la jeune femme. Puis, elle l’examina d’une vue d’ensemble. Soupirant, elle constata que la petite entêtée n’avait pas suivi ses conseils.

« Jeune fille, le jeans, débardeur et converses ne sont pas vraiment appropriés pour un lieu comme celui-ci … tentez de soigner votre apparence, et de jouer de votre féminité. »

« Ecoutez … on était d’accord dés le départ : je fais le boulot que vous m’avez confié, mais je gère seule ce qui me concerne. Or, mon look, c’est perso, qu’importe qu’on soit dans un taudis ou invitées dans le bureau en ellipse ! »

« Ovale chérie, le Bureau Ovale … »

« On s’en fout, il existe plus. »

« Bon … et bien allons-y », conclut Angela quelque peu agacée par l’insolence caractéristique de la fin de l’adolescence.

Machinalement, Angela replaça sur son nez de larges lunettes de soleil, dissimulant une partie de son visage. Coiffée aux quatre épingles et vêtue, comme à son habitude, d’un tailleur cintré, elle s’engagea alors dans le bar de l’hôtel, suivie de la jeune rousse.

Sans un mot, elle prit alors place à la table de Lila Cruz. Elle n’avait pas changé depuis sa trahison envers la Compagnie. Elle était visiblement restée la même : féminine et forte à la fois. Dans une élégante robe noire, cette dernière sirotait un cocktail. Un sourire en coin, Angela ôta alors ses lunettes.

« Bonjour Lila. Je pourrais vous dire que le Destin fait bien les choses … mais ce serait me vanter étant donné que c’est en partie moi qui le conçoit. Alors … le goût de la trahison est-il si amer qu’il vous force à boire seule ? Oh … mais que je suis impolie. »

Angela se tourna alors vers l’adolescente, et l’incita d’un geste de la main à venir s’assoir avec elles.

« Lila, je vous présente Mila … Mila voici Lila, une personne en qui autrefois j’ai misé énormément … et qui m’a terriblement déçue … Que de « i » et de « a » dans mon entourage … espérons que vous ne ferez pas de même que votre aînée jeune fille. »

« Tant que l’on s’en tient à nos engagements, il n’y aura pas de problème Angela … Enchantée Lila », termina la jeune Mila tout en prenant place sur la chaise libre. Depuis qu’Angela s’était assise à cette table, avec cette jolie jeune femme, Mila n’avait pas cessé une seconde d’observer Lila de son regard azur. Angela avait peut-être raison sur un point : jouer de sa féminité, ça claquait grave !

Le petit espadon taillé de profil reflétait les derniers rayons de soleil de la journée. Lila n'avait pas l'habitude de piller ses victimes, mais elle avait eu un véritable coup de coeur pour ce pendentif. Si elle avait toujours son pouvoir, elle utiliserait la corne acérée comme arme soigneusement dissimulée. Plus compact et plus redoutable qu'une dague. Elle s'amusait à piquer le bout de son doigt avec la minuscule corne lorsqu'elle entendit une voix qui lui était familière. Elle n'eut pas besoin de se retourner. La femme discutait avec une autre personne mais Cruz avait travaillé suffisamment longtemps avec elle pour reconnaître ce ton ferme et sévère, ce timbre pinçant et cette détermination dans l'élocution. C'est à ce moment précis qu'elle se dit que la Compagnie ne lui manquait pas du tout. Elle qui au départ était tellement emballée par leurs idées avait été radicalement déçue par les méthodes sournoises et fort peu amusantes employées par l'organisation secrète.
C'est pour cela qu'elle s'y était opposée, se rebellant contre ses collègues en libérant Sylar. Elle avait changé le cours des choses, mais elle avait la certitude tout cela avait été minutieusement orchestré par Angela. Malgré tout, il semblait que la matrone Petrelli avait failli à son but et la Compagnie avait fini dans les flammes, le sang. Et au milieu, Lila, les membres disloqués, au bord du gouffre. Elle serait probablement morte si Peter ne l'avait pas sauvée avant de l'abandonner lâchement dans l'ignorance, à l'hôpital de New York. Lorsque ses pouvoirs disparurent, elle n'eut d'autre solution que partir. Ne rien savoir de la situation la mettait dans un désavantage dangereux.

Les pas de deux personnes retentirent, se rapprochant de plus en plus de la table de l'Anglaise. Cette dernière ne put réprimer un sourire sournois qu'elle dissimula une fois la femme assise à côté d'elle.

« Bonjour Lila. Je pourrais vous dire que le Destin fait bien les choses … mais ce serait me vanter étant donné que c’est en partie moi qui le conçoit. Alors … le goût de la trahison est-il si amer qu’il vous force à boire seule ? Oh … mais que je suis impolie. »

La jeune femme ne prit même pas la peine de regarder son interlocutrice. Elle était toujours tournée ves la piscine, les palmiers et comme paysage de fond, l'océan. Lentement, elle trempa ses lèvres dans son Cuba Libre et en but une gorgée.

- J'aime faire les choses seule, et boire fait partie de ces activités. Rien de tel que de profiter des spécialités locales, vous devriez goûter.

Elle faisait mine d'ignorer l'autre personne qui se tenait aux côtés d'Angela, mais en réalité elle l'observait par l'intermédiaire du reflet dans la baie vitrée. Celle qui accompagnait Petrelli n'était autre qu'une vulgaire gamine, dont le style vestimentaire laissait à désirer dans un lieu aussi chic que celui-là.

« Lila, je vous présente Mila … Mila voici Lila, une personne en qui autrefois j’ai misé énormément … et qui m’a terriblement déçue … Que de « i » et de « a » dans mon entourage … espérons que vous ne ferez pas de même que votre aînée jeune fille. »

- Ne faites pas comme si vous n'aviez rien manigancé dans tout cela Lady Petrelli, répondit caustiquement l'Anglaise.

La gamine qui s'était joint à elles ne ressemblait en rien à Lila, malgré la similitude de leurs prénoms. C'était une petite rouquine insolente et de mauvaise tenue. L'aristocrate était depuis sa plus jeune enfance habituée aux tailleurs, aux longues robes et aux bijoux. Malgré que son style vestimentaire ait considérablement changé à la mort de ses parents, elle conservait malgré tout quelques vestiges de son statut social. C'était son héritage familial et en quelque sorte un hommage à sa mère qui s'était donnée corps et âme dans son éducation. La rouquine prit finalement la parole. Elle avait de grands yeux couleur azur très expressifs, et sa voix aussi grave que provocatrice évoquait la naïveté des jeunes.

« Tant que l’on s’en tient à nos engagements, il n’y aura pas de problème Angela … Enchantée Lila »

Ignorant sa réponse, Lila s'adressa à nouveau à Angela d'un air supérieur.

- Vous devez avoir subi beaucoup de pertes pour les recruter au berceau.

A son plus grand contentement, cette remarque énerva la gamine qui se serait levée d'un bond si Madame Petrelli ne l'en avait pas empêchée d'un geste de la main.

- Puis-je savoir pourquoi vous avez pris la peine de vous déplacer jusqu'ici avec votre garde du corps modèle réduit ? Ce doit être très important à vos yeux. Mais sachez que je ne me laisserai plus embobiner par vos beaux discours, alors gardez-les pour quelqu'un d'autre... comme des gamines naïves par exemple.

Nouvelle réaction colérique de la mioche, qui cette fois extirpa un large sourire victorieux chez l'Anglaise. Cependant, elle ne pensait sa remarque qu'à moitié. A peine une heure plus tôt, sur son balcon, elle repensait à New York, s'avouant qu'elle devrait y retourner un jour ou l'autre. Et voilà que, comme par enchantement, le passé la rattrappait, incarné par cette bonne vieille connaissance de la Grosse Pomme. Si elle croyait au Destin, elle se serait dit qu'il s'agissait là d'un signe évident de la part de celui-ci. Mais elle savait également qu'Angela pouvait influencer le cours des choses, donc elle resta sur ses gardes.
Lila rangea discrètement l'espadon en or dans son sac, à côté de son 9 millimètres soigneusement chargé.

Seule, c’était ainsi que Lila avait toujours aimé faire les choses, et ceci quelles qu’elles soient. Déjà lorsqu’elle travaillait pour la Compagnie, elle refusait tout coéquipier. Il n’y avait que pour sa dernière mission qu’elle n’avait pas eu le choix.

Connaissant les habitudes d’Angela, l’anglaise savait pertinemment que la présence de son ancienne patronne n’était pas due au fruit du hasard. Ignorant les propos de Mila, la tueuse à gage ironisa sur le choix d’Angela en ce qui concernait sa nouvelle recrue, beaucoup trop jeune à son gout. N’acceptant une telle critique, la jeune rousse voulut alors réagir. Pourtant, anticipant la réaction juvénile de cette dernière, Angela l’en dissuada d’un geste de la main. Coupée dans son élan, Mila n’eut d’autre choix que de garder le silence et de rester à sa place.

Malgré son ton caustique et son air détaché, Lila ne put se retenir de demander ce qui lui valait une telle visite. Par la même occasion, elle mit en garde Angela qu’elle ne se laisserait pas une nouvelle fois embobiner dans ses manipulations. Madame Petrelli laissa alors apparaitre pour toute réponse un sourire comme elle en avait le secret, à la fois amusé et moqueur.

Se levant d’un bond, Mila frappa alors du plat de la main sur la table avant d’hurler sur Lila.

« Je ne suis pas une gamine ! J’ai 19 ans figure toi ma vieille ! Et je ne suis certainement pas naïve ! La preuve : Angela ne m’a pas embobinée comme tu le dis si bien, nous avons besoin l’une de l’autre. C’est différent ! A ce que je sache, tu n’avais rien à y gagner lorsqu’elle t’a ordonné de travailler avec - »

« Ça suffit Mila ! », coupa net Angela, le visage ferme et le ton sec.

Frustrée d’avoir été ainsi interrompue par Angela, la jeune femme se rassit, les bras croisés, tout en foudroyant du regard l’anglaise. Reprenant son calme suite à cette reprise en main de la conversation, Angela se tourna alors vers son ancienne employée.

« Très bien. Lila, parlons sérieusement. Depuis quand vous sentez vous morte à l’intérieur ? Inutile de me répondre, je sais déjà. Vous vous jouez une mascarade en restant ici. Où est le plaisir lorsque le danger est inexistant ? Lorsque l’on a touché la Mort comme vous, lorsque l’on a si intimement senti son souffle glacial caresser votre nuque, peu de choses peuvent de nouveau vous faire vivre cette sensation exaltante. Il est sans doute temps de redevenir vous-même. Qu’en dites-vous ? »

Angela marqua alors une pause, faisant claquer ses ongles sur la table.

« Vous avez vu juste. Je suis venue vous voir pour une raison importante. J’ai besoin de louer vos services. J’ai besoin que vous nous rameniez, Mila et moi, jusqu’à New York, en toute sécurité. Bien entendu, vous serez rémunérée comme il se doit pour ce contrat. »

Angela Petrelli n'avait pas tout à fait vu juste en Lila, mais il est certain qu'elle avait accès à un petit oeil-de-boeuf lui donnant un aperçu de ce qui se passait à l'intérieur de l'esprit de l'Anglaise. Certes, elle aimait le danger, elle frémissait de plaisir lorsque la faucheuse l'effleurait de sa longue lame aiguisée et que la vie était une tempête dans laquelle la seule chose à faire était de garder la tête hors de l'eau. L'ex agent de la Compagnie raffolait de ce style de vie. Mais elle n'était pas non plus désespérée ni morte à l'intérieur. Au contraire, elle gardait de l'espoir et projetait réellement de retourner à New-York un jour ou l'autre. Elle aurait probablement tenté de se renseigner avant de le faire, car elle n'aimait pas s'aventurer à l'aveuglette quand cela n'était pas nécessaire. Elle ne sourit donc pas cette fois face au discours d'Angela. Cela commençait d'ailleurs sérieusement à l'agacer. Alors que la grande dame marquait une pause, Lila serra les poings et marmonna presque inaudiblement :

- Vous ne savez rien de moi.

Cette phrase ne fut pas entendue, mais elle devait sortir. Personne ne pouvait cerner Lila Cruz, pas même Angela, Noah Bennet ou Sylar. Mais ce qui énervait le plus l'Anglaise, c'est que son ancienne supérieure connaissait l'avenir et savait pertinemment comment elle allait réagir, ou sur quoi tout cela déboucherait. Sa voix pinçante continua son discours calculé :

« Vous avez vu juste. Je suis venue vous voir pour une raison importante. J’ai besoin de louer vos services. J’ai besoin que vous nous rameniez, Mila et moi, jusqu’à New York, en toute sécurité. Bien entendu, vous serez rémunérée comme il se doit pour ce contrat. »

Pour la première fois de l'échange, Lila tourna la tête et plongea ses yeux dans ceux d'Angela. Les deux femmes se défièrent du regard pendant quelques instants alors que Mila, désormais muette comme une carpe, les regardait toute intimidée. Elles avaient toutes les deux un passé lourd, et avaient vécu bon nombre de choses ensemble à la Compagnie. Mais tout cela faisait partie du passé, les choses avaient changé depuis lors. La jeune femme répondit avec une pointe d'amertume dans la voix.

- Je n'ai pas besoin de votre argent, gardez-le pour vous acheter de nouveaux froufrous. Il n'est pas question que je retourne à New-York sans avoir des réponses. Je veux savoir ce qui s'est exactement passé après l'attaque de Pinehearst, ce que sont devenus Sylar et ses sbires, et comment votre cher mari a disparu. Et pour finir, vous qui savez tout sur tout, vous allez m'expliquer pourquoi mes pouvoirs ont disparu depuis plusieurs mois. Sans cela, n'attendez rien de moi. Si vous avez des réponses par contre, je penserai à reconsidérer votre proposition.

Elle but une nouvelle gorgée de son coktail sans quitter Angela des yeux. Elle aurait bien voulu demander qui était exactement cette Mila si précieuse aux yeux de la mère Petrelli, mais elle se retint, ne voulant pas montrer sa curiosité à propos de la jeune fille. De toute façon, elle ne tarderait pas à le savoir. Lila Cruz finissait toujours par avoir ce qu'elle voulait.

Durant de longues secondes, Lila défia son ancienne patronne du regard. Pas une seule ne scilla un instant, refusant obstinément de perdre la face. Angela savait pertinament que la jeune anglaise ne baisserait pas les bras si facilement, c’était ce refus de l’échec qui l’avait séduite lorsqu’elle l’avait engagée. Silencieuse, Mila observait tour à tour les deux femmes.

Puis, Lila donna une réponse. L’argent ne l’intéressait pas. Issue d’une famille fortunée, ce n’était certainement pas ce qui lui manquait. Pourtant, malgré toute cette aisance financière, une chose lui restait encore inaccesible. Une chose qu’elle désirait visiblement avec force : des réponses. Sans ces réponses, elle refusait de retourner à New York. Ses questions étaient nombreuses, et toutes, sans exception, étaient légitimes.

Les réponses, Angela les détenaient en partie. N’ayant pas été présente lorsque tous les évènements auxquels faisait référence Lila s’étaient déroulés, elle n’avait obtenu des réponses qu’après d’âpres recherches, et ceci, depuis l’époque où elle se trouvait. Autant dire que la vérité avait eu de temps de se déformer depuis toutes ces années. Sans quitter des yeux Angela, la jeune anglaise but une nouvelle gorgée de son cocktail.

« Des réponses … très bien. Je vais tenter de vous satisfaire. »

Madame Petrelli prit quelques secondes avant de se lancer, secondes durant lesquelles, elle manipula ses lunettes de soleil entre ses mains de manière nerveuse. La perte de la Compagnie restait un échec certain. Cette société secrète, elle en était l’une des fondatrices, la dernière en vie à dire vrai. Sa perte était comparable à la perte d’un enfant. Parler de ce sujet n’était pas encore évident pour elle.

« Les agents d’Arthur ont détruit les locaux de la Compagnie. Nombre de nos employers présents à l’intérieur ont péri à ce moment là. Nous avons alors perdu beaucoup : des personnes de qualités, des informations capitales, notre unité et notre organisation. Visiblement, Sylar n’était pas assez puissant pour stopper mon mari … à ma grande déception. »

Angela marqua alors une pause, prenant une profonde respiration.

« Arthur a alors pu créer le sérum que nous nous évertuions à dissimuler depuis tant d’années, un sérum capable de générer une capacité à n’importe qui. Il semblerait qu’il ait alors tenter d’utiliser Sylar. Ses raisons, je les ignore. Toutefois, il semblerait que notre serial killer soit une arme à double tranchant, comme il a pu nous le prouver à maintes reprises. Il a trahi Arthur, et … »

« Et il l’a creuvé ! Bon, on peut abréger Angela. C’est pas comme si on avait toute l’année devant nous ! », acheva précipitament Mila alors qu’Angela ralentissait le flot de ses paroles, visiblement troublée par quelques sentiments.

Angela se ressaisit rapidement, les yeux humides. Manifester aussi ouvertement ses sentiments n’était pas dans ses habitudes. Elle n’aimait pas ça. Ellen’aimait pas montrer à ses rivaux qu’elle restait avant tout une femme avec un cœur. Si elle avait eu le choix, elle aurait préféré pouvoir rester une femme de marbre dans pareille situation. Mais déjà, Mila reprenait la parole, fixant la jeune anglaise du regard.

« Pour tes pouvoirs, don’t stress. Ils ne devraient plus tarder à revenir. T’es malades, genre une grippe ou un truc comme ça. A cause de ça, t’es toute détraquée et tes pouvoirs sont off. Bon, on peut y aller maintenant que t’as tes réponses ? »

« Mila a raison. C’est un virus. Une pandémie qui a neutralisé tous les pouvoirs, de tous les êtres spéciaux. Vous n’êtes pas un cas isolé Lila », ajouta Angela, tentant ainsi de calmer l’impatience de la jeune rousse.

Qu'Angela accepte de répondre à ses questions rendit la gorgée de Cuba Libre encore plus délicieuse. Extérieurement, Lila ne laissait transparaître aucune émotion. A l'intérieur, elle jubilait. Petrelli resta silencieuse pendant quelques secondes, triturant ses lunettes de soleil avec une nérvosité croissante. Il était évidant que l'on entrait là dans un sujet délicat pour cette femme. On pouvait même déceler de la vulnérabilité, comme si tout à coup l'Anglaise pouvait clairement voir son talon d'Achille. Intéressant...
Le début des explications ne lui apprirent rien de nouveau : les locaux de la Compagnie détruits, les employés ayant péri en masse, de précieux documents perdus (notamment les dossiers d'individus en liberté, détenus ou ex-détenus du Niveau 5). Elle ne précisa pas si la Compagnie avait réussi à se relever de ces pertes, mais au vu du regard désormais en détresse et égaré d'Angela, Lila se doutait fort bien de la réponse. La sexagénaire marqua une courte pause avant de reprendre.
Ce que cherchait Arthur Petrelli était -et ça, l'Anglaise l'ignorait- un sérum permettant de procurer un pouvoir à n'importe quel être humain ordinaire. C'est apparemment la Compagnie qui le détenait et qui, bien entendu, refusait de le détruire. Ces grandes têtes de la société, toujours en train de manigancer leurs plans sournois, d'agir dans l'ombre et de conserver leurs secrets, sans assumer les conséquences que cela pouvait avoir sur le monde... Arthur aurait alors voulu manipuler Sylar. Mais ce dernier s'était retourné contre son nouvel employé et l'avait éliminé par surprise. Sylar était donc finalement très futé. Il avait survécu à l'attaque et en plus était parvenu à ses fins. Lila était finalement contente d'avoir pu l'aider. Elle craignait vraiment que leur mission fut un échec, détestant perdre un combat, mais à long terme ses efforts avaient payé. Voilà enfin une bonne nouvelle. La mauvaise, c'est que Gray était doué. Doué, donc encore plus dangereux que Daddy Petrelli. Et il courait toujours dans la nature.

La voix fluette et insolente de la rouquine conclut le discours presque émouvant d'Angela, qui avait du mal à le terminer. En effet, l'ancienne était décidément fort touchée par ces événements et peinait désormais à dissimuler ce qu'elle ressentait. Finalement, elle semblait bien plus vulnérable que Lila.

« Et il l’a creuvé ! Bon, on peut abréger Angela. C’est pas comme si on avait toute l’année devant nous ! »

- Ecoute-moi bien le moucheron, désormais ton temps m'appartient et ton avenir dépend de moi. Alors si tu veux revoir ta Grosse Pomme un jour, montre-toi patiente, tu veux. Bon, et les pouvoirs ?

« Pour tes pouvoirs, don’t stress. Ils ne devraient plus tarder à revenir. T’es malade, genre une grippe ou un truc comme ça. A cause de ça, t’es toute détraquée et tes pouvoirs sont off. Bon, on peut y aller maintenant que t’as tes réponses ? »

Angela confirma les dires de Mila. Un virus avait donc contaminé toutes les personnes aux capacités exceptionnelles. Cela incluait également la mère Petrelli, mais aussi Sylar. La première n'avait donc plus un total contrôle sur la situation, ce qui expliquait son attitude perdue et moins sûre d'elle. Elle était donc venue la voir en tant que femme ordinaire, demandant vainement des services à Lila. Cette dernière n'avait, quant à elle, rien perdu de sa puissance. Contrairement à beaucoup d'être spéciaux redevenus faibles, la tueuse à gage se débrouillait parfaitement sans son don, étant toujours aussi forte, habile et déterminée. Puis il y avait Sylar. L'Anglaise se demandait comment il se débrouillait sans sa collection d'aptitudes. Il devait sûrement vivre dans la peur, la tension d'être découvert par les autorités ou d'être anéanti tout simplement. Beaucoup de personnes lui en voulaient : les personnes qu'il a trahies, les familles de ses victimes, la justice. Etait-il encore vivant et libre à l'heure qu'il était ?
Mais comme Mila le précisa, les pouvoirs n'allaient pas tarder à revenir. Comment, elle l'ignorait. Qui donc allait pouvoir les guérir ? Le Docteur Suresh ? Mais le plus important était que tout allait redevenir comme avant, voire pire encore.

Lila réfléchit longuement. Elle n'avait plus que quelques cibles à éliminer le soir-même. Les périodes de fête n'étaient pas très riches en contrats, les mafieux et autres gros bonnets de la société avaient mieux à faire que de regler leurs comptes. Tout job était bon à prendre.

- Très bien, je vous escorterai jusqu'à New-York. Mais une fois à destination, vous ne dépendrez plus de moi, je vous laisserai livrées à vous-même. Je ne vous dois rien. Nous partirons demain par avion. A moins que vous ayiez une voiture, dans quel cas je vous escorterai à moto. Ceci dit, traverser sept états prend du temps, et quelque chose me dit que vous êtes plutôt pressées. Mais quoiqu'il en soit, je ne partirai pas avant demain. Je suppose que vous avez de quoi vous payer une chambre d'hôtel. Et pas de colère, le moucheron !

Sur ces derniers mots, elle termina son coktail d'une traite et se leva.

- Bon, je vous laisse, j'ai quelques trucs à regler avant mon départ (puis elle se ravisa, frappée par une interrogation soudaine). Mais au fait Angela, que faites-vous donc à Miami sans vos pouvoirs et avec une môme comme seule protection ?

Après un temps de réflexion plus ou moins long, Lila donna sa réponse. Elle acceptait d’accompagner les deux femmes jusqu’à New York. En revanche, une fois à destination, elle ne leur devrait rien et les laisserait. Le départ était prévu pour le lendemain. En silence, Angela opta pour le voyage en avion. Ce serait bien plus rapide, mais également, bien plus confortable. Lila termina de boire son verre cul sec. Elle se leva, mais avant de partir, elle posa une dernière question. La situation d’Angela et de sa nouvelle acolyte la troublaient, elle souhaitait en savoir d’avantage. Mais avant que Madame Petrelli ne puisse répondre, Mila prit la parole en première.

« Qui te dit qu’elle n’a plus de pouvoir ? Et qui te dit que je ne suis pas capable de nous défendre ? »

« Mila … il va falloir apprendre à tenir votre langue, c’est plus que nécessaire, reprit alors Angela. Pourquoi Miami ? Sans doute pour les mêmes raisons que vous. Je trouvais que c’était le lieu parfait pou réapparaitre en toute sécurité après ce qu’il s’est passé, ni très loin, ni trop prêt de New York. Quand à cette jeune fille, elle est bien plus forte que ce que son apparence pourrait laisser penser, croyez-moi. »

Angela replaça alors ses lunettes de soleil sur son nez. A présent, son visage était redevenu aussi ferme qu’à son habitude, ne laissant aucune trace du moment de détresse dont elle avait été victime quelques minutes plus tôt. Elle se leva à son tour, suivie de prêt par Mila qui fit de même. Intérieurement, la jeune fille était satisfaite. Elle venait d’obtenir son billet pour la Grosse Pomme. C’était une première étape indispensable à franchir pour parvenir à ses objectifs. Finalement, cette association avec Angela n’était peut-être pas une si mauvaise idée. Elle avait été réticente à traiter avec cette vieille vipère, mais devant le peu d’options dont elle disposait, elle n’avait pas eu vraiment le choix. Madame Petrelli prit alors la parole, afin de finaliser l’organisation du départ.

« Très bien. Puisque vous êtes d’accord, nous partirons demain. Bien entendu, nous prendrons l’avion. J’aurai certainement besoin de dormir un peu pour y voir plus clair. Mila, voulez-vous bien vous occuper de nous réserver des chambres pour cette nuit. »

« Ok, je m’en occupe. »

Angela observa alors quelques secondes Mila s’éloignant pour se diriger vers l’accueil de l’hôtel. Puis, elle reporta son attention sur Lila, son habituel sourire étant de retour.

« Vous voyez … le neuf millimètres n’aura pas été nécessaire. Pas contre moi en tout cas. Quant à Mila, un conseil, ne cherchez pas trop à comprendre les raisons de sa présence ici. A demain Mademoiselle Cruz. »

Madame Petrelli s’engagea alors à la rencontre de Mila occupée avec l’employer de l’hôtel.

L'organisme des deux femmes revenues du futur avaient donc développé une sorte d'anticorps. Ou peut-être s'agissait-il d'une sorte de vaccin, d'antidote, mais Lila en doutait fort, car dans ce cas Mila n'aurait pas dit qu'ils allaient revenir, comme si le corps des personnes spéciales allaient s'adapter à cette pathologie d'un style nouveau. L'Anglaise se demandait comment tout cela allait se dérouler. Peut-être n'aurait-elle jamais de réponse scientifique à ce phénomène, mais elle le guetterait de très près. Au moins, elle était sûre qu'elle allait récupérer son don, contrairement à bon nombre de héros et de traîtres qui vivaient dans la peur et l'ignorance.
Et cette Mila... "bien plus forte que ce que son apparence pourrait laisser penser", d'après les dires de la vieille. De quoi était-elle donc capable cette môme ? Lila aurait bien aimé le savoir, mais elle la pousserait à se dévoiler au moment opportun. Elle ne raterait pas une telle occasion.
Angela remit alors ses lunettes de soleil, rompant le contact visuel et par là même, leur conversation. Elle avait repris son air hautain, son attitude de maitresse d'elle-même et du monde entier, bref l'image qu'elle avait l'habitude de projeter aux autres. Toutes les failles entraperçues lors de leur échangent appartenaient déjà au passé. Elle se leva elle aussi et Mila l'imita. La jeune fille s'était calmée et semblait même satisfaite par la décision qui venait d'être prise. Cette rouquine semblait beaucoup trop intéressée par cette situation, Lila s'en méfiait.
Madame Petrelli énonça les dernières directives du voyage, préférant prendre l'avion pour pouvoir y faire un somme. L'Anglaise comprit immédiatement que cette petite sieste servirait à anticiper la suite des événements, ce qui ne lui plut guère. Elle détestait cette situation où, quoi qu'elle fût, elle savait qu'Angela en avait rêvé auparavant et avait prévu le coup. La vieille vipère envoya alors sa nouvelle protégér leur réserver une chambre ("Un lit adulte et un lit à barreaux pour enfants, s'il vous plaît", l'imaginait-elle dire à la réceptionniste, riant intérieurement) avant de reporter son attention sur la jeune aristocrate.

« Vous voyez … le neuf millimètres n’aura pas été nécessaire. Pas contre moi en tout cas. Quant à Mila, un conseil, ne cherchez pas trop à comprendre les raisons de sa présence ici. A demain Mademoiselle Cruz. »

Lila se contenta de sourire, sachant que son silence agaçerait la mère Petrelli. Elle savait parfaitement qu'elle n'aurait pas besoin de son neuf millimètres contre elle, un seul coup bien placé suffisait à la plonger dans un état inconscient. Concernant ce conseil vis-à-vis de Mila, la jeune femme savait pertinemment qu'il avait pour but de la faire agir contrairement à ce dernier conseil. C'est pourquoi Cruz ne poserait pas de question, mais elle n'hésiterait pas à jouer de l'impatience et du manque de subtilité de la petite rousse pour la faire parler. Intérieurement, elle souhaita que le sommeil d'Angela dans l'avion soit suffisamment profond.

- 11h15 à l'aéroport demain matin.

Puis elle sortit avec l'intention de déguster un dernier plat aux fruits de mer, avant de revenir à l'hôtel pour se changer et clôturer ses derniers contrats.

* * *

11h14, M.I.A (Miami International Airport)

Lila était assise sur l'un des sièges inconfortables du terminal. Elle n'avait pas beaucoup dormi, mais cela lui était complètement égal, son attention ne baissait jamais. Elle avait liquidé deux malfrats et un petit politicien local, ce dernier lui ayant rapporté une belle somme d'argent. Le matin-même, avant de se rendre à l'aéroport, elle avait revendu sa Ducati à un vendeur en noir qui lui assura qu'il allait la redécorer à sa manière. Elle repartirait de Miami ni vue, ni connue, sans aucune trace de sa présence derrière elle. Sa résevation de la chambre d'hôtel, sa carte de crédit et ses billets d'avion étaient tous à de faux noms. L'anonymat avait un prix, mais Lila en avait les moyens.

Angela arriva pile à l'heure, suivie de loin par Mila, toujours aussi mal vêtue et trottinant à l'arrière en voyant l'ouverture de la passerelle pour les passagers de leur vol. Elle termina rapidement une barre de chocolat et rejoignit la vieille au moment où cette dernière arrive à la hauteur de Lila.

- Alors, vous avez fait de beaux rêves cette nuit, Angela ? Allons-y, ne trainons pas.

Les trois femmes présentèrent leurs billets et montèrent dans l'avion. Ce dernier était bien rempli étant donné cette période de l'année où tout le monde prenait congé pour aller voir de la famille à l'autre bout du pays. Elles prirent place dans leurs sièges respectifs. L'Anglaise fut ravie de voir que Mila était assise au milieu, comme elle l'espérait. Elle attendait avec impatience le moment où Angela rejoindrait les bras de morphée.

Le rendez-vous avait été fixé à 11h15 par la jeune aristocrate. A 10h précise, Angela et Mila étaient toutes les deux prêtes à quitter leur chambre d’hôtel. Elles s’installèrent toutes les deux à l’arrière du véhicule qui les conduirait à l’aéroport, laissant au garçon de service le soin de placer leurs bagages dans le coffre.

« Très bien. D’ici peu, nous serons à New York. Là bas, je connais des personnes qui pourront nous aider. En revanche, prenez garde à Lila. Ne la laissez pas compromettre nos plans en étant trop bavarde. Vous savez ce que vous couterez l’échec, n’est-ce pas ? »

« Ouais ouais, c’est bon. Je suis au courant de ce qu’il va arriver si je me plante. »

Le claquement caractéristique d’un coffre que l’on referme, ainsi que la secousse qui parcourut le véhicule, annoncèrent le départ imminent pour l’aéroport.

* * *

Lorsque le véhicule s’arrêta devant l’aéroport, Angela enfila ses lunettes de soleil et sortit. Sans attendre, elle se dirigea à l’intérieur du bâtiment. Derrière elle, Mila, sortit, une barre de chocolat à la main. Pressant le pas, elle tenta de rattraper tant bien que mal Madame Petrelli. Elles étaient pile à l’heure. Lila les attendait déjà. Toutes les trois réunies, elles se rendirent au lieu d’embarquement. A présent, le décollage n’allait plus tarder.

* * *

Cela faisait maintenant une vingtaine de minutes qu’elles avaient quitté Miami. Déjà, Angela s’était endormie. Elle n’avait pas perdu de temps. A peine arrivée à sa place, elle s’était déjà installée pour dormir : siège incliné, couverture en place, oreiller sous la tête et bandeau sur les yeux. De son côté, Mila terminait le paquet de crackers et le verre de jus d’orange que lui avait servie l’hôtesse. Placée entre Angela et Lila, elle avait la fâcheuse impression qu’on l’avait mise à cette place pour la surveiller, comme un enfant terrible que l’on veut empêcher de faire des bêtises. Pourtant, elle n’était pas idiote, et savait pertinemment se tenir. Une fois sa collation terminée, elle fouilla dans la pochette située juste devant elle. Elle y trouva tout ce dont Angela disposait pour dormir, un sac en papier en cas de nausées, des instructions très rassurantes qu’il fallait visiblement suivre en cas de crash, histoire de mourir tous dans la même position, ainsi que des écouteurs. Cette dernière trouvaille était la plus intéressante. Les saisissant, elle les brancha sur l’accoudoir de son fauteuil. La musique rendrait le voyage moins long. Mais elle fut quelque peu déçue en constatant que tout ce qu’on lui proposait devait bien avoir vingt ans.

« … génial. »

Se contentant de ce qu’on lui proposait, elle se calla alors dans son fauteuil. Discrètement, elle observa les passagers assis autour d’elle. A première vue rien de bien intéressant. A part peut-être un type à droite, prêt du hublot. Il avait l’air pas trop mal. Si elle avait pu, Mila se serait surement levée pour aller s’assoir juste à côté de lui, sur la place libre. Mais encadrée de ses deux cerbères, il valait mieux lâcher tout de suite l’affaire. Tant pis, elle se contenterait de le regarder furtivement. Tout du moins, c’est ce qu’elle pensait faire. Mais apparemment, son petit jeu d’espionnage avait été démasqué par sa voisine.

« Bah quoi ? Y a pas de mal à se faire plaisir ! Genre, t’as jamais maté un mec de ta vie. A d’autre. Attends … me dis pas que t’es lesbienne ! », dit Mila à l’anglaise suivit d’un rire franc.

« La vache ! Tu devrais voir ta tête ! J’plaisante, c’est bon. Détends-toi ou tu vas finir comme mamie à côté. »

Mila enleva alors ses écouteurs et se tourna autant qu’elle put sur son siège du côté de l’aristocrate. Puis, elle s’adressa à elle, à mi-voix, afin que personne d’autre ne puisse l’entendre.

« Bon, alors, c’est vrai ce qu’on raconte ? T’as arrêté Sylar et ensuite, t’as plaqué Angela ? Elle a dû trop avoir la rage. »

Angela était déjà installée et parée à piquer un roupillon, bercée par le doux ronronnement de l'avion qui venait de décoller. Mila, quant à elle, gesticulait dans tous les sens, grignottant, observant les passagers, fouillant dans les poches arrières des sièges à la recherche d'un quelconque moyen de distraction. Elle finit par se rabattre sur les écouteurs, bien qu'elle ne semblât pas satisfaite par la playlist proposée.
Quelque chose clochait chez cette fille, mais Lila ne parvenait pas à savoir quoi. Elle l'observa pourtant tout au long de son petit manège sans arriver à déceler ce qui la dérangeait. C'est comme si elle avait à la fois un air familier et qu'elle venait d'ailleurs, comme une touriste. Pourtant, il n'y avait pas de doute possible en l'entendant parler, elle était bien Américaine. Son regard passa au-dessus du corps allongé d'Angela, endormie à poings fermés, pour reluquer un bellâtre assis près d'un hublot, quelques sièges plus loin. Lila aurait préféré que la rouquine soit moins dissipée. Cette dernière remarqua enfin qu'elle l'observait.

« Bah quoi ? Y a pas de mal à se faire plaisir ! Genre, t’as jamais maté un mec de ta vie. A d’autre. Attends … me dis pas que t’es lesbienne ! »

L'Anglaise fronça les sourcils, dépassée par la bêtise de sa voisine. Cela déclencha un rire incontrôlé de cette dernière. Si elle continuait, cette peste allait réveiller Angela et tout serait foutu.

« La vache ! Tu devrais voir ta tête ! J’plaisante, c’est bon. Détends-toi ou tu vas finir comme mamie à côté. »

- Les femmes m'intéressent encore moins que les hommes Schtroumpfette.

Mila enleva enfin ses écouteurs et se tourna vers Lila, lui faisant désormais face et lui accordant toute son attention. Elle lui demanda si les rumeurs étaient vraies, si c'est bien elle qui avait arrêté Sylar puis qui avait trahi la Compagnie.

- Je n'étais pas seule pour arrêter Sylar. J'ai été aidé par deux personnes très compétentes et sans lesquelles je n'aurais pas pu terminer ma mission. On peut dire que j'aurai mis brillamment un terme à ma carrière d'agent.

Cruz marqua une pause, se rappelant avec nostalgie le trio improbable qu'elle formait avec Alex Dumont et Kerry Tomas. Il s'agissait réellement de l'une de ses plus belles missions. Elle se demanda si elle recroiserait leur route un jour, à condition bien entendu qu'ils fussent toujours en vie. La disparition de leurs pouvoirs pouvait révéler bien des surprises. Cette pensée la rappela à la réalité, sous forme d'une question qui lui brûlait les lèvres.

- Bon écoute Modèle réduit. Je ne suis pas dupe, je sais très bien que vous manigancez bien plus de choses que vous ne le prétendez. Tu as sous-entendu que toi et la vieille aviez vos pouvoirs. De plus, Angela disait être "réapparue" à Miami car il s'agissait d'un endroit sûr et pas trop éloigné de New York. J'ai bien réfléchi cette nuit, et je n'ai vu qu'une réponse possible : vous revenez du futur. C'est aussi pour cela que vous savez ce qui va bientôt se produire, à savoir que nous allons tous récupérer nos capacités. J'aurais bien misé sur l'hypothèse de l'antidote découvert prématurément, mais il m'est d'avis qu'elle l'aurait administré à quelqu'un qui lui est cher et non à un petit nabot incompétent et impulsif dans ton genre.

Brusquement, Lila enroula sur lui-même le gilet qu'elle avait déposé sur son accoudoir de manière à ce qu'il forme un long bout de tissu entortillé et le passa autour de la gorge de la rouquine. Elle fit pivoter cette dernière qui se retrouva dos à l'Anglaise et resserra l'étreinte autour de son cou. Surprise, la fille n'émit qu'un son étouffé et s'agrippa l'éteau.

- Chhhuutt... pas un mot Minimoi. Ecoute-moi attentivement si tu ne veux pas te faire de gros bobo. Tu vas me montrer de quoi tu es capable, et tout en discrétion. Tu sais à quel point les gens sont méfiants face aux gens comme nous depuis la déclaration de Sylar au monde entier, puis un avion n'est pas l'endroit rêvé pour faire du chahut. Alors montre-moi ce que tu sais faire, sans faire d'histoire, et tout se passera bien.

Elle jeta un regard furtif vers Angela, toujours profondément endormie, et se demanda si la vieille n'abusait pas un peu trop des somnifères. Elle ne relâcha pas son étreinte, sa force étant nettement supérieure à celle de la jeune fille. Privée de pouvoir, elle avait été contrainte de redoubler les bons vieux exercices de musculation, des pompes aux abdos en passant par le jogging matinal. Après tout, ce n'était pas plus mal. Elle était encore plus forte qu'avant, et allait le devenir davantage une fois qu'elle aurait retrouvé son pouvoir.

Pour toute réponse, Lila précisa qu’elle n’était pas seule lorsqu’elle avait arrêté Sylar. Visiblement c’était cette association qui avait permis à cette mission de réussir. Puis, toujours avec ses grands airs de pimbêche, l’anglaise poursuivit la conversation. Elle dit alors qu’elle savait qu’Angela et Mila préparaient quelque chose, qu’elles en savaient plus qu’elles ne voulaient bien le dire. Rapidement, la jeune fille lança un regard vers Madame Petrelli, toujours endormie, avant de reporter son attention sur l’aristocrate. Cette dernière fit alors part de ses hypothèses. Selon elle, Petrelli et Mila revenaient du futur, raison pour laquelle elles savaient tant de choses. Quant à la recouverte de leurs pouvoirs, elle avait écarté l’hypothèse d’un vaccin ou autre sérum, prétendant qu’Angela l’aurait utilisé sur quelqu’un d’autre que la rouquine. En plus de son ton agressif, Lila continuait d’être désagréable, comme si elle voulait pousser la jeune fille à sortir de ses gonds. D’un mouvement vif, la tueuse à gage enroula son gilet autour du coup de Mila, la faisant pivoter pour qu’elle soit de dos. Serrant légèrement son étreinte, elle chuta à Mila quelques requêtes : elle voulait voir les capacités de Mila à l’œuvre.

« Angela avait raison … j’aurai dû me méfier de toi. T’es qu’une belle salope ! », cracha alors Mila le souffle court.

« Ça te démange depuis l’hôtel … hein, avoue. Tu crèves d’envie de savoir. »

Angela avait une nouvelle fois eu raison lorsqu’elle avait dit à Mila qu’elle ne savait pas tenir sa langue. Sans cette foutue phrase au bar de l’hôtel, jamais l’anglaise n’aurait su que la jeune fille détenait toujours son pouvoir utilisable. Sans cet indice, elle ne se serait pas retrouvée là, un gilet serré autour du coup par une brute épaisse. Mila était en colère à la fois contre elle et contre cette garce qui lui tordait le cou.

« Bah, tu vas savoir … », susurra alors Mila.

La jeune fille tenta de se concentrer, tout en cherchant un peu d’air. Mais depuis toutes ces années à s’entrainer, elle était capable d’utiliser sa capacité, même dans les pires conditions. Elle n’avait qu’une chose à faire : se concentrer sur sa cible, en l’occurrence sur Lila. Une fois visualisée, ce serait un jeu d’enfant. Qui plus est, la colère potentialisait son pouvoir.

« Relâche-moi immédiatement pétasse ! MAINTENANT !!! », acheva-t-elle dans un cri de colère, réveillant Angela par la même occasion et faisant sursauter les voyageurs autour d’elles.

La phrase lâchée, la pression psychique exercée par Mila sur le cortex de l’anglaise ne lui laissait pas le choix. Mentalement, la jeune rousse venait d’imposer sa volonté à l’ancienne agent de la Compagnie. Telle était la capacité de Mila : le pouvoir d’ordonner des actions aux autres.

« Mais qu’est-ce que vous fabriquez toutes les deux ?! s’exclama Angela, le regard foudroyant. Mila, qu’est-ce que l’on avait dit ? Pas de ça ! Et vous, où est passée votre intelligence ? Imaginez que vous ayez eu à faire à une bombe humaine ! », lança-t-elle à Lila.

Angela avait beau avoir tenté de remettre la jeune rousse en place, cette dernière n’en avait pas terminée. Prise de colère, elle n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin.

« Lila, tu sais quoi ? Ton gilet, carre le toi où j'p- »

« Assez ! », coupa net Angela, ne sachant que trop bien quelles conséquences auraient eu les propos de Mila.

L’homme assit juste devant Mila se retourna alors, faisant face au trinôme. L’air agacé, il souhaitait mettre fin à tout ce remue-ménage.

« Excusez-moi, vous pourriez faire moins de bruit ? Y a des gens qui aimeraient bien dormir ! »

« Eh bah dors et fais pas chier ! », lui ordonna Mila.

Dans la seconde qui suivit, le voyageur mécontent s’installa et s’endormit. De son côté, la rouquine se cala au fond de son fauteuil, les bras croisés et une mine fâchée sur le visage. De son côté, Angela n’avait plus l’intention de dormir. Elle devait rester vigilante pour surveiller ces deux là, car elle n’avait aucun doute sur le fait qu’elles recommenceraient sitôt la précog endormie.

La rouquine réagit exactement comme Lila s'y attendait : elle lui balança nombre d'insultes et de provocations à la figure. Pour toute réponse, l'Anglaise resserra l'étreinte, forçant la jeune fille à la mettre en veilleuse. Une chose était sûre : Mila regrettait amèrement de ne pas avoir tenu sa langue à l'hôtel. Que cela lui serve de leçon.
Elle finit par céder et accepta de dévoiler son pouvoir à contre-coeur. Cruz se mit donc sur ses gardes, alors qu'elle sentit sa prisonnière se calmer afin de mobiliser ses dernières ressources pour se concentrer. Il n'y a qu'en la mettant réellement en danger qu'elle se résignerait, c'était la seule solution et Lila devait aller jusqu'au bout de son entreprise.
Mila lui intima alors l'ordre de la relâcher, crachant un "MAINTENANT" quasiment comme une attaque verbale. L'aristrocrate sentit alors comme une force invisible, une volonté qui n'était pas la sienne déserrer le noeud autour du cou de la rousse. Elle lutta tant bien que mal, déterminée et entêtée comme elle était. Mais le seul résultat que cette tentative eut fut qu'un filet de sang s'échappa de son nez. Le cerveau comprimé, traversé de lancements douloureux, elle finit par lâcher prise. Elle se tenait le front en fermant les yeux. Cependant, elle souriait. Oui, elle souriait car elle avait gagné, comme d'habitude. Désormais elle savait que rien ne pouvait l'arrêter si elle voulait quelque chose. Cela lui rappela l'affrontement contre Alex Dumont où elle l'avait forcé à lui tirer dessus pour améliorer son pouvoir. Elle s'attendait à ce que la réaction d'Angela fût similaire à celle de Kerry ce jour-là.
Heureusement, cette fois-ci elle n'eut pas droit à un coup de poing. Madame Petrelli s'était réveillée en sursaut lorsque Mila cria, saisissant quelques passagers par la même occasion.

« Mais qu’est-ce que vous fabriquez toutes les deux ?! Mila, qu’est-ce que l’on avait dit ? Pas de ça ! Et vous, où est passée votre intelligence ? Imaginez que vous ayez eu à faire à une bombe humaine ! »

- Hé bien on a eu du bol, ce n'est pas le cas, répondit Lila en épongeant sa narine avec un mouchoir en papier et faisant preuve de toute l'ironie dont elle était capable. Oh, désolée, nous avons interrompu vos songes peut-être ?

Mila était toujours sous l'emprise de la colère et avait du mal à se calmer. Elle s'égosilla à l'adresse de l'Anglaise mais Angela l'interrompit avec fermeté. Lila constata avec soulagement que la mère Petrelli venait de lui épargner un moment plutôt douloureux.
Un homme assis devant elles se retourna et leur demanda de se taire afin de le laisser dormir. Pour toute réponse, la rouquine lui ordonna de dormir, ce qu'il fit aussitôt tel un robot. Cruz était fascinée par ce don. Si elle avait été Sylar, la première chose qu'elle ferait c'est lui rendre une petite visite-surprise pour lui découper la boîte crânienne. Cette gamine devait faire plus attention, elle se croyait trop puissante et cela risquerait de lui causer des soucis un jour. Ceci dit, une dernière question restait sans réponse : si cette gamine ne pouvait pas se déplacer dans le temps, qui les avait ramenées du futur ? Peter ? Takeshi Ryu ? Hiro Nakamura ? Lila se demandait ce que ces deux comploteuses avaient encore manigancé dans l'avenir, et quelles raisons les avaient motivées à revenir ensemble à cette époque.
Angela avait relevé son siège et rangé ses affaires pour la sieste. Elle s'occupait désormais de les surveiller afin d'éviter un nouvel incident.

- Ce don est... fascinant, murmura Lila exactement de la même manière que Gabriel Gray l'aurait fait dans les mêmes circonstances. Tu réalises le potentiel que tu possèdes en toi le microbe ? Tu peux avoir tout ce que tu désires de la part des autres. Tu n'as même pas besoin de négocier avec Angela, si tu le voulais tu pourrais la manipuler à ta guise. La manipuler comme elle l'a fait avec moi, Sylar ou encore Alex Dumont par le passé. Ah ! le bon vieux temps.

Lila remarqua que la mine de ses deux voisines avait soudainement changé. Elle fronça des sourcils, intriguée.

- Quoi ? Vous avez vu un fantôme ou quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit de mal encore ?

Le silence revint alors quelques instants dans l’appareil. Lila était pensive, Angela attentive à ce qu’allaient encore faire les deux jeune filles, et Mila, de son côté, avait pris la décision de se plonger dans une forme de mutisme boudeur.

« Ce don est... fascinant. Tu réalises le potentiel que tu possèdes en toi le microbe ? Tu peux avoir tout ce que tu désires de la part des autres. Tu n'as même pas besoin de négocier avec Angela, si tu le voulais tu pourrais la manipuler à ta guise. »

Même si elle l’écoutait, Mila fit celle qui ne prêtait pas à attention aux propos de l’anglaise. Cette dernière avait raison. La jeune fille pouvait abuser des gens par le biais de son pouvoir, obtenir d’eux ce qu’elle voulait. Pourtant quelque chose l’en empêchait : sa conscience. Certaines valeurs lui avaient été enseignées, une éthique lui avait été léguée, et elle ne comptait pas les outrepasser. C’était un point d’honneur pour elle de ne pas dépasser certaines limites, celles qui séparent les gens biens des gens malveillants. C’étaient ces mêmes limites qui, visiblement, séparaient Mila et Lila.

« La manipuler comme elle l'a fait avec moi, Sylar ou encore Alex Dumont par le passé. Ah ! Le bon vieux temps. »

A cette phrase, Angela et Mila tournèrent toutes les deux la tête en direction de Lila, dans un mouvement parfaitement synchronisé. Blême, Mila préféra garder le silence, estimant qu’elle avait fait assez de bourdes comme ça. En revanche, le visage d’Angela se détendit, laissant apparaitre un sourire satisfait.

« C’était pour le bien de tous, j’espère qu’à présent vous vous en rendez compte … bien que je ne sois pas tout à fait convaincu que vous ayez pleinement conscience de tout ce que j’ai fait pour vous. »

Angela laissa alors échapper un rire discret. Puis, théâtralement, elle porta une main à son front avant de poursuivre.

« Suis-je bête … évidemment que vous ne vous en rendez pas compte, puisque le pire n’est finalement pas arrivé … ce qui est peu dire lorsque l’on voit où le monde en est aujourd’hui. »

Brusquement, elle se redressa et se tourna vers Lila, surprenant presque la rouquine juste à côté d’elle par cet élan soudain. D’un ton beaucoup plus pinçant, elle continua de s’adresser à Lila sans la lâcher du regard.

« Sans mes manipulations, comme vous dites, rien n’aurait arrêté Arthur. Maintenant, imaginez un monde dans lequel n’importe qui peut accéder à une capacité. A votre avis, combien de Sylar aurions-nous sur les bras ? Combien de villes seraient rasées suite à une perte de contrôle de pouvoirs par un citoyen lambda ? New York n’était qu’un prélude à ce qui nous attendait. »

Son venin craché, Angela se réinstalla dans son fauteuil. Elle sortit un magasine de la pochette située devant elle, et commença à le feuilleter.

« Alors ne soyez pas trop prompte à dispenser votre jugement, surtout lorsque vous disposez de si peu d’informations sur le sujet. Oh … et pendant que j’y suis. Inutile de tenter de monter Mila contre moi. Nous ne savons que trop bien l’une et l’autre, combien nous nous sommes utiles, n’est-ce pas Mila ? »

Pour seule réponse, la jeune rousse fit apparaitre un sourire sec et rapide avant de replonger dans son mutisme au visage fermé.

Angela poussa sa chansonnette habituelle d'un air suffisant, prétendant que ce qu'elle faisait était pour le bien de tous et que grâce à elle, Arthur avait été mis hors d'état de nuire. Elle s'était brusquement redressée sur son siège, faisant presque sursauter Mila de surprise. Dans le futur, elle avait apparemment constaté que chaque être humain pouvait se procurer un pouvoir aussi facilement qu'un implant mammaire ou le retrait d'une dent de sagesse. Lorsque la mère Petrelli demanda à combien de Sylar elle croyait qu'ils auraient affaire. Cette simple idée fit frémir Lila... de plaisir. Un monde où chaque personne aurait un don, où la vie serait plus palpitante, imprévisible, où toutes les limites seraient repoussées chaque jour. L'Anglaise en fut presque dégoûtée d'avoir oeuvré pour cette cause qui allait à l'encontre de ses principes. Elle se rattrapperait. Ooohh que oui.
Par dessus tout, Angela eut le culot de réprimander Lila, lui déconseillant de juger trop vite ses actes. D'un air désinvolte, ayant repris sa posture initiale et feuilletant un magazine, elle lui lança qu'il était inutile de tenter de monter Mila contre elle. A vrai dire, ce n'était pas le but de Cruz. Ses mots avaient simplement dépassé sa pensée devant ce don merveilleux qui la fascinait. Elle avait désormais repris sa mine désinteressée. Cependant, les mots de la vieille lui restaient en travers de la gorge.

" Hey Jeanne d'Arc, qui te dit que tes intérêts sont ceux de tous ? Tu changes l'avenir, c'est vrai. Mais c'est pas pour ça que j'te donnerai une sucette Angie. Tu rends le monde comme TOI tu voudrais qu'il soit, en l'occurence tu sers tes propres intérêts et invites les autres à en faire autant sous prétexte que sinon le monde va faire badaboum. "

Elle la tutoyait volontairement, cette marque d'irrespect montrant qu'elle n'avait désormais plus la moindre sympathie pour son aînée. Son ton était devenu ironique mais elle n'appréciait guère la manière dont l'ancêtre avait tenté de la remettre à sa place.

" J'en ai absolument rien à cirer de ce que vous allez faire à New-York. Jouer avec le destin et le futur est dangereux. Tu sais peut-être par tes jolis rêves ce qu'il advient de notre monde, mais en modifiant le cours des choses tu ne sais pas sur quoi tu peux tomber, et ça peut être bien pire. Notre avenir ne devrait pas dépendre d'une seule personne. Nous devrions tous oeuvrer à notre manière pour le rendre comme nous voudrions qu'il soit. Pour qui tu te prends à vouloir juger toute seule ce qui est le mieux pour nous ? "

Elle se tourna vers le hublot et regarda le tapis de nuage blanc et moëlleux que l'avion survolait. Le ciel était d'un bleu éclatant, c'était comme s'ils se trouvaient dans un autre monde, pur et merveilleux, loin de l'humanité et de sa noirceur.

" Tu m'impressionneras plus avec tes beaux discours Denver, alors garde-les pour quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'assez naïf pour croire que tu pourrais tous nous sauver d'une attaque de King Kong ou de quelqu'autre cataclysme qui fait super trop peur. "

La gamine l'avait enfin mis en veilleuse. Lila aurait bien voulu lui montrer de quoi elle-même était capable, ses progrès depuis l'attaque de la Compagnie par Pinehearst suivie de son hospitalisation. Cela lui aurait enlevé son petit sourire narquois à cette mioche. Avant que le virus ne se répande, l'aristocrate s'était entraînée d'arrache-pied et avait été capable de choses prodigieuses qu'elle gardait comme un précieux secret et qu'elle améliorait de jour en jour. Elle était devenue plus forte, plus douée, plus agile. Et bientôt, elle retrouverait tout son potentiel.

Mécontente de ce que venait de lui dire Angela, Lila en perdit toute bonne manière. Tutoyant soudainement Angela, elle s’adressa à elle d’un air tout aussi méprisant que la matriarche Petrelli. Elle n’acceptait pas les manières d’agir de son ancienne patronne, ni ses objectifs. Selon l’aristocrate, Angela tentait de modifier les évènements non pas pour le bien de l’humanité, mais plutôt par pur intérêt personnel. Selon la jeune anglaise, tenter ainsi de maîtriser l’avenir était une folie, le résultat pouvant être bien pire que la version originale. Elle était convaincue qu’Angela n’avait aucune compétence pour décider ainsi du sort de tous.

Face à tous ces attaques, Angela préféra rester muette, laissant la tueuse à gage vociférer et lui cracher sa colère. De son côté, Mila ne perdit pas une miette de cette altercation. Elle se disait que cette garce britannique n’avait surement pas si tort que ça, et que beaucoup de choses qu’elle reprochait à Angela était justifiée. Mais n’ayant pas connaissance de tout sur le passé commun entre cette mercenaire et Petrelli, elle préférait ne pas porter un jugement trop hâtif, ni sur l’une, ni sur l’autre. Elle admettait volontiers que Lila était une véritable plaie dans son genre, mais savait pertinemment qu’Angela la valait bien dans son domaine. Une seule question la tracassait à la fin de la diatribe de l’anglaise : qui pouvait bien être ce Denver ?

Le vol se termina donc dans le silence absolu. Angela poursuivit ses lectures et Mila replaça les écouteurs sur ses oreilles.

* * *

A présent qu’elles étaient arrivées à destination, Angela et Mila devait rester prudentes et ne pas perdre de temps. Etrangère ici, Mila n’avait d’autre choix que de devoir faire confiance à madame Petrelli et la suivre. Cette dernière assurait avoir des contacts qui pourraient les aider. Il suffisait juste à présent de mettre la main dessus.

Angela se tourna alors vers Lila.

« Très bien. Je crois que c’est ici que nos routes se séparent mademoiselle Cruz. »

Angela ne répondit pas aux nombreux reproches de Lila, mais cette dernière savait que ça ne l'avait pas rendu indifférente. Leurs routes allaient bientôt se séparer à nouveau, mais elles se retrouveraient. Mila avait suivi l'échange avec attention, silencieuse et intéressée.
Face au silence de Mama Petrelli, l'Anglaise soupira et leva les yeux au ciel, avant de remplonger son regard à travers le hublot. Les nuages molletonneux s'étaient rapprochés, ou plutôt c'était l'avion qui perdait de l'altitude. Ils allaient bientôt atterir et retrouver cette bonne vieille ville qui avait subi tant de dégats : New York City.

* * *

Une fois les bagages récupérés, les trois femmes sortirent de l'aéroport. C'est sur le parking des taxis que leurs chemins se séparèrent, comme le lui fit remarquer Angela. Lila hocha la tête silencieusement et s'en alla sans se retourner ni même prendre la peine de les saluer. Sa mission était terminée. Elle siffla un taxi et y entra. Elle allait rejoindre son appartement poussiéreux, faire un tri dans ses dossiers puis faire un tout en bécane pour reprendre ses repères.

- Où va-t-on mon amie ? demanda le chauffeur avec un très léger accent indien.

- La dixième avenue, je vous prie.

Lila soupira et laissa tomber sa tête en arrière, son visage faisant face au ciel bleu à travers le pare-brise arrière du taxi.
Tout à coup, elle fronça des sourcils et mit une main devant ses yeux pour s'assurer qu'elle voyait bien : une éclipse commençait. Le soleil avait déjà perdu une toute petite partie de son cercle éclatant.
Ses rayons, qui disparaîtraient bientôt totalement, se reflétaient dans le pendentif en forme d'espadon attaché au cou de la tueuse à gage.

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