Un repas, une rencontre, un destin... (PV Christie)

Le vaste ciel s’assombrissait rapidement au-dessus de New-York, et les lumières allumaient ses rues d’un éclat jaunâtre. Une fraîcheur quelconque régnait dans l’air, et chaque respiration était précieuse, rafraîchissante. Tout individu se sentait saisi par la prestance glorieuse et la joie contagieuse de cette grande ville, dévalant les trottoirs longés de boutiques, pointant du doigt les étoiles et les constellations, fredonnant des airs bêtes qui accrochaient des sourires… Tous gambadaient à l’unisson, s’adonnant à un cycle, une harmonie qui prônait l’allégresse et qui chassait les pensées noires. Ils s’échangeaient des regards complices, de polis signes de tête et de fous rires enjoués. Il semblait que pas même le plus grave des dangers ne puisse les perturber en cette soirée qui semblait parfaite et pleine de promesses. Par contre, pas tout le monde ne se laissait capturer par l’éternelle entité de la jubilation. Même que toute cette jouissance inspirait chez certain le dédain absolu, la répulsion…

Christie déambulait justement dans ses rues, ennuyée, un énorme nuage noir traînant derrière elle. Un nuage de colère, d’écœurement, mais aussi d’agacement, d’embêtement. Relevant avec lassitude ses raides cheveux blonds vers l’arrière, elle avait le pas rapide dû à une certaine rage qui l’animait depuis ce maudit jour où tout avait dérapé, où elle avait perdu sa sœur… Vêtue d’un chic manteau blanc, orné de grands boutons foncés, Elle portait sous ce dernier une blouse et un legging noirs, ainsi que des escarpins de même couleur. Elle dégageait une négativité éprouvante, et maintenant un air hostile, malveillant. Elle plantait son regard meurtrier sur chaque personne qu’elle croisait, et l’expression de bonheur qui habitait leur visage s’évanouissait brusquement. Elle les tuait, elle perçait leur cœur et leur âme d’une lame noire destructrice. Elle les pétrifiait comme la légendaire Médusa, les mystifiait, leur provoquait une amère sensation de dégoût, de pourrissement.

Cette jeune femme était terrible. Sa gestuelle était sensuelle, sa beauté sidérante, mais sa rancune à l’égard du monde la rendait laide, voire inapprochable. Elle regardait hautainement les vieilles dames séniles et les mendiants, ayant perdu tout sentiment humain autre que la colère et la rébellion. C’était une vicieuse vipère qui bougeait, qui rampait avec peine vers ses proies et qui les déchirait, les démolissait brutalement. Elle devenait un monstre malgré elle, malgré ses vraies valeurs. Elle se transformait en ce qu’elle avait toujours évité de devenir. Elle méprisait les autres, les narguait pour rapetisser ses propres malheurs, agrandissant celui des autres…

Christie le fit encore une fois; elle planta le regard sur un jeune garçon qui la croisait et qui lui souriait, et elle remarqua son soudain changement d’attitude. Il était devenu vraiment dégoûté, tournant la tête pour suivre du regard la femme qui l’avait cruellement dévisagé. Ses sourcils s’étaient froncés d’une certaine façon qui avait créé un immense froid en elle. La jeune femme se sentait maladroite, gênée, honteuse…

Elle soupira longuement, ayant stoppé sa route pour se frotter les yeux. Un autre appel à la terre, une autre réalisation… Elle ne pouvait plus continuer ainsi. Elle ne pouvait tout simplement plus. La solitude lui empoisonnait tellement l’âme, et à nouveau elle se sentait seule dans son malheur. Prisonnière dans sa tristesse, elle se dirigea vers le plus proche restaurant. Elle ne voulait plus marcher. Elle voulait s’asseoir devant un bon repas, se gâter un peu, car elle en avait vraiment besoin, et en quelque sorte, elle sentait qu’elle le méritait un peu, pour avoir supporté tant de souffrance, tant de peine durant tout ce temps. C’était un effort qui la travaillait.

Elle poussa la porte.

"Bonsoir et bienvenue madame. Puis-je vous débarrasser de votre manteau et le porter au vestiaire?", fit une voix d’homme qui était venu à l’encontre de Christie. La jeune femme se défit sagement de son manteau, gardant avec elle son sac à main de cuir noir. Le serveur s’en alla les porter, abandonnant la jolie blonde qui attendit courtement, mains jointes devant elle. Un autre homme prit le relai.

"Une table pour une personne, miss?"

"Pour deux! Une table pour deux", lui répondit-elle sur un coup de tête. Christie était venue seule, mais elle détestait l’admettre. Elle détestait encore plus l’admettre aux autres. Depuis toujours l’opinion des gens lui importait, et elle ne voulait pas qu’ils pensent qu’elle était misérable. L’homme la mena donc à une table pour deux, à laquelle elle s’assit. Afin de rester seule, elle demanda un verre de vin blanc, histoire d’éloigner le serveur. Elle regardait tristement devant elle, s’adonnant à ses pensées.

Sa réflexion de tout à l’heure la rendait crapuleuse. Elle se sentait lamentable d’avoir eu peur de faire mauvaise impression à un serveur! Elle n’allait probablement plus jamais le revoir, qu’avait-elle à foutre de son opinion…? Fermant déplorablement les yeux, elle médita à nouveau sur ses pensées.

"Arf…"

Le verre de vin blanc que Christie avait demandé fut enfin posé sur sa table, mais la jeune femme ne rouvrit pas tout de suite les yeux. Elle était comme dans une transe, dans un état d’esprit qui l’aspirait dans un autre monde où toutes ses idées prenaient vie de manière aberrante et farfelue. Tout était absurde; des voix familières résonnaient en écho, des voix cafardeuses et maussades qui abattaient l’âme fragile de la mélancolique Saymev. Ses pensées les plus sinistres prenaient le dessus, l’espace d’un moment, la maintenant captive dans ce délire. Elle explorait lentement les facettes noires de son être, étourdie par la dureté cruelle de cette expérimentation. Puis elle se mit à s’imaginer dans d’autres lieux, d’autres endroits, laissant libre cours à son imagination, qui l’emmenait des endroits les plus illuminés aux plus lugubres. Une seconde elle frissonnait de plaisir, entourée de ses proches; une autre, elle criait de terreur, se faisant abruptement arraché les organes vitaux par une créature bestiale et horripilante, effrayante et excessivement affreuse, alors qu’elle saignait à mort…

Puis, plus rien. Plus d’individus menaçants, ni de cri d’affliction, ni d’âme tourmentée… Seulement des bruits d’ustensiles entrant en contact avec les assiettes de porcelaine. La jeune femme avait rouvert les yeux, et son regard s’était arrêté sur celui du serveur, qui la fixait depuis un long moment. Le visage de celui-ci affichait la confusion, et ne trahissait aucunement les pensées chaotiques qui s’entrechoquaient dans sa tête. Il avait crispé les lèvres, refoulant les paroles qu’il s’était apprêté à dire. Il n’osait pas trop prendre parole dans ce silence dérangeant qui venait de s’installer entre les deux. Christie le scrutait d’un air embrouillé. Elle tentait de deviner ses émotions, mais ne s’y attarda plus, soutenant son regard qui s’assombrissait lentement. Plus il la dévisageait, moins ça l’enchantait…

Il finit par laisser sur la table la bouteille de vin blanc qu’il tenait de ses deux mains, tournant le dos à la jolie jeune femme pour se rendre à la cuisine, pressant le pas pour raccourcir l’humiliation insoutenable qu’il venait de s’infliger bêtement. Christie baissa à nouveau le regard sur son verre de vin, faisant glisser un doigt sur son rebord circulaire. Elle ne faisait même plus d’efforts pour paraître saine s’esprit, s’affaissant sur sa chaise, relaxant ses épaules, bougeant avec lenteur. Ses membres perdirent leur grâce, ses paupières se faisaient lourdes sans qu’elle n’ait sommeil. L’épuisement la gagnait tranquillement, vicieusement. Elle en avait marre de cette vie de chien. Elle était maltraitée telle une martyre, rien qu’à devoir se lever le matin, rien qu’à suivre le parcours du soleil jusqu'à son zénith, rien qu’à devoir supporter la vue de personnes heureuses, satisfaites dans leur peau… Elle n’aurait pas ce bonheur, et elle avait beaucoup de misère à accepter cette réalité. Ça la mettait dans un état piteux…

C’était saisissant, hallucinant de voir à quel point la vie était imprévisible, comme quoi le parcours d’un individu puisse prendre un tournant aussi aigu. Christie en était dégoûtée. Cette pensée lui décocha un sourire triste à la face. Elle penchait la tête vers son verre, et les mèches blondes s’accumulaient devant son visage, pendantes. Elle les releva d’une main paresseuse, puis s’attarda sur son apéritif, y prenant une première gorgée. Ses gestes devenaient de plus en plus secs, car plus elle songeait, plus elle se frustrait. Elle était une femme bien malheureuse. Encore un peu et elle pourra réussir à inspirer la pitié chez les gens…

Christie se soumettait de plus en plus au destin, car elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas se révolter, qu’elle ne pouvait l’affronter. Elle était blessée à l’orgueil, atteinte à la fierté, mais il n’y avait plus d’issue. Elle s’était battue jusqu’à la fin et n’avait rien pu y changer…Elle était mesquinement brimée par des forces inhumaines qui chevauchaient sa vie, des forces tyranniques qui la dominaient, qui l’assujettissaient. Elle avait une cause, mais elle devait y renoncer, elle devait flancher. L’instabilité de sa personne l’avait poussé à agir stupidement, et notre bornée préférée avait été aveuglée par son désir de se racheter. C’était terminé à présent.

Mais au moment où elle venait d’abandonner, le destin frappa de nouveau, et il allait la prendre par surprise… Dans son champ de vision, elle put apercevoir une silhouette noire se déplacer, ce qui la tira hors de ses pensées. Il s’agissait d’un homme qui s’était tout bonnement levé de sa chaise. La jeune femme porta à nouveau toute attention à son verre, observant le liquide qui s’y trouvait. La silhouette noire grossissait, et à nouveau elle posa le regard sur l’inconnu. Il approchait de sa table, s’avançant d’une démarche élégante. Il était tout de même imposant, portait une chique tenue et possédait un maintien physique séduisant. Il était très intriguant, quand on gardait l’œil sur lui. On ne pouvait presque pas le quitter du regard…

Christie ne l’étudia guère, ce qui était assez surprenant. Elle avait un esprit de l’analyse très développé, et elle examinait tout autour d’elle, décortiquant chaque détail. Elle avait laissé faire. Mais bon. On lui imposait un choix, à présent, car c’est elle qu’il était venu voir…

Il attira son attention en prenant parole d’une voix cordiale et affectueuse. Il avait certainement éveillé la curiosité de Christie, qui resta perplexe devant lui jusqu’à ce qu’il brise à nouveau le silence. Il s’invita donc à s’asseoir avec elle, et il l’avait fait d’une façon assez arrogante, ce qui la vexa profondément. Il semblait présomptueux, méprisant, et même si ce n’était pas voulu, il dégageait de l’insolence aux yeux de Christie. Elle l’observait, hésitante, ne sachant guère comment réagir face à cette situation. Comment pouvait-il extrapoler de cette façon? Elle avait laissé beaucoup d’indices, oui. Certes, de se pointer à sa table et de l’indigner en pointant du doigt son caractère de solitaire, ce n’était pas correcte.

D’un regard empli de défi, elle le fixa longuement, croisant les bras sur sa poitrine. Elle ne prenait pas trop le temps de comprendre la situation, ni de l’analyser, car cet extravagant l’avait mise dans une position insensée, devant laquelle elle ne savait reprendre pied. L’excentrique s’était lancé dans un long discours sur la solitude, s’annonçant à elle comme l’homme qu’elle était destinée à rencontrer, dans cette nuit de malheurs. Certaines de ses phrases arrachaient à la figure de la jeune femme des expressions de grande surprise, de choc total, d’ébranlement absolu, car elle était stupéfaite devant l’éclatement de son interlocuteur confiant.

Il était charmant. Vraiment très charmant, même. Il avait une façon étrange d’aborder les gens, ce qui laissait à désirer. Certes, Christie avait réussi à déduire son intension bienfaisante, et n’avait pas trop mal pris son approche. Elle allait se lancer dans son jeu, par contre. Souriant mesquinement, elle se pencha vers lui, plongeant son regard dans le sien.

« Bon. Normalement, avant de s’inviter soi-même à une table, on s’introduit poliment, et on essaye de ne pas vexer la personne à qui on parle, que ce soit volontaire ou pas, sinon ce n’est pas trop agréable. Vous êtes d’accord? Ensuite il faut attendre que cette personne en question accepte que vous vous asseyiez, sinon vous faites peur… Surtout avec ce genre de discours…! »

Le sourire de la jeune femme s’élargit. Elle avait complètement laissé tomber ses pensées noires, redevenant la jeune femme qu’elle était jadis, qu’elle aspirera toujours à devenir et qu’elle ne renoncera jamais d’être, malgré tout ce qu’elle peut se dire durant ses moments les plus durs.

«Malgré tout cela, cher inconnu, je tiens à souligner votre sens de l’observation, car jamais personne dans ce monde ne m’aura aussi bien lu que vous. Et pour cela, je tiens vraiment à vous remercier. J’apprécie vraiment votre geste aussi, vraiment. C’est très gentil… Merci, merci beaucoup mais je crois que ce ne sera pas nécessaire. Je pourrai me débrouiller seule. Je finirai bien par franchir cet obstacle… Mais merci… »

S’adonnant à un petit rire coquin, elle rendit à son interlocuteur un sourire charmeur, puis elle baissa à nouveau le regard sur son verre.

Christie avait gardé les yeux rivés sur son verre, patiente, le temps que son interlocuteur réagisse. Elle ne savait guère quelle attitude il allait avoir à la suite de ses paroles, et elle était assez désireuse de le découvrir. Le caractère humain différait de manière frappante chez les gens, et la jeune femme se questionnait sur les traits de caractère dont Alexis était affecté. Le comportement et la constance de cet homme était remarquable, et la belle blonde regrettait âprement d’avoir décliné son invitation, sa proposition de l’emmener à un idéal de confort où la parole dépassait les limites, où la permission était comblée et assouvie. Son état d’insatisfaction la bousculait, et ce bel étranger était venu l’attendrir, l’adoucir, la déshabiller de toutes les émotions assassines et cruelles qui l’affermissaient, qui la suffoquaient. Elle se condamnait elle-même à vivre dans l’angoisse et le désarroi, dans le chagrin et la solitude. Elle était désespérée, et la compagnie devenait une nécessité dans sa vie. On avait maintenant capté son signal de détresse, et elle refusait l’aide qu’on était prêt à lui fournir. Elle refusait d’être comblée, d’être enchantée par la bonté d’un autre individu. Mais pourquoi…? Était-elle heureuse dans son infortune? Pourquoi??? Elle vivait dans le danger, dans une insécurité qui ne lui garantissait rien. Elle avait tellement eu de faux espoirs, d’espérances qui s’étaient lamentablement effondrées sous ses yeux. Voilà pourquoi; elle avait peur de faire à nouveau confiance au destin, car elle avait toujours mal, à la fin. Elle souffrait, mais elle ne pouvait pas supporter plus de souffrances encore. Elle savait une chose : cette rencontre, aussi effacée soit-elle, allait rester gravée dans la mémoire de la jeune fille. Elle avait été courte, mais spéciale, et remplie de signification. Elle savait qu’elle allait regretter toute sa vie de ne pas avoir répondu à l’appel du séduisant garçon…

Elle allait le regretter. Certes, elle soutenait son opinion, ses principes et fondements. Elle ne pouvait se laisser prendre à nouveau, et tomber sous les griffes du destin une autre fois n’était pas une option. C’est pourquoi elle trouva déplorable que ce bel homme insiste pour rester. Elle voulait tellement le laisser, mais elle ne pouvait pas. Par contre, résister devenait de plus en plus difficile… Il était d’une délicatesse adoucissante, d’un calme apaisant et d’un regard séducteur qui désarmait la jeune femme. Elle se replaça donc sur sa chaise, se contentant d’apprécier la présence de l’inconnu. Elle décida de juger plus tard si elle tenterait à nouveau de s’adonner aux mystérieux bonheurs de la vie, ou si elle allait à nouveau lui demander de quitter… Il tendit une main amicale, et Christie, avec hésitation, y plaça la sienne avec lassitude, écoutant les excuses d’Alexis. Elle trouvait qu’il était très habile avec les mots, et se sentit flattée par ses paroles bienfaisantes. Elle souriait tristement, car il développait à nouveau de son état de solitude…

Il s’appelait Alexis Kane. Christie pouvait enfin mettre un nom à son visage, ce qui était assez important pour elle. Identifier les gens, c’était tellement plus facile. Ce qui lui était inconnu la dérangeait jusqu’à l’importuner. Ce n’était plus l’étranger, maintenant. C’était Alexis, cet homme aux cheveux d’un brun chocolat, aux yeux de couleur noisette qui se faisaient séducteurs et distrayants, à la voix chaleureuse et berçante, à la prestance captivante… Son sourire charmeur était énigmatique, son air obscur mais raffiné, ses intentions indéchiffrables… Il était mystérieux, occulte, attirant, et il intéressait la jeune femme avec ses airs coquets et ses manières polies et courtoises. Pour une première impression aussi mal partie, il gagnait bien vite du territoire chez la jolie blonde…

Christie arqua un sourcil lorsqu’il se pencha pour baiser le revers de sa main. Assez étonnée de ce geste, elle en eut le souffle coupé de stupéfaction, perplexe devant le bel homme. Elle balbutia quelques mots incompréhensibles, tentant de rattraper ses paroles, de formuler une phrase, puis elle se coupa, gardant le silence. Elle battait des paupières, plissant légèrement les yeux, confuse. Alexis garda sa main dans les siennes un instant. Elles étaient chaudes, douces… Puis il la relâcha, et Christie s’en lamenta intérieurement, ce qui la surprenait encore plus. Waouh… Il la gagnait trop vite… La miss de devait pas trop s’adonner à l’homme si facilement, elle n’allait pas se laisser impressionner, à présent. Elle garda silence, pressant ses lèvres pulpeuses, ne pouvant retenir un sourire amusé… Il était doué…

Il reprit à nouveau parole, liant leurs deux regards de manière apaisante. Elle était vraiment fascinée; sa gestuelle, son élégance épurée, ses expressions précieuses, son riche vocabulaire… Il était pur et policé, humble et tendre… Il était très délicat, et semblait avoir de belles valeurs, des sentiments bons et très profonds… Ça se voyait dans ses paroles. Il la connaissait à peine, et l’emprise qu’il avait sur elle l’effrayait un peu. Elle subissait les conséquences d’avoir laissé l’homme s’asseoir avec elle. Elle s’y attachait déjà! Elle ne pouvait pas laisser faire… Oui, elle pouvait, et elle le faisait en ce moment. Encore une fois…

Christie soupira. Elle était entrain de commettre une erreur, et elle s’en rendait compte. Plus tard, quand elle serait à nouveau déçue par le destin, c’est à ce moment précis qu’elle reviendra, qu’elle regrettera, c’est ce moment qui aura été la cause de tout son futur désarroi, de toute cette nouvelle peine qui s’installera dans son cœur… Et la voilà qui, malgré toutes ses choses, se laissait flattée par les paroles d’Alexis. Elles étaient vraiment belles, ses paroles… Hypnotisantes… Christie ignorait tout autour d’elle, ignorant ses pensées, ses instincts qui lui criaient de réagir, de ne pas succomber à la tentation, de ne pas accepter cette belle compagnie, de rester seule… Malheureuse et misérable…

Elle n’écoutait plus ses instincts, non. Que les paroles du ténébreux. Le serveur les interrompit, et Christie, qui était totalement dans son discours en fut brutalement enlevée, comme si on la tirait du sommeil. Réagissant vite, elle put capter toutes les paroles du serveur, ainsi que celles d’Alexis.

« Heu… Et pour moi ce sera le saumon d’Atlantique avec sauce citron et patates dauphinoises, s’il vous plait. Et c’est MOI-MÊME qui me l’offre, Alexis, merci. Oh, et de l’eau froide je vous prie. »

À nouveau elle lui lança un regard empli de défi, trempant une deuxième fois dans l’étendue que formaient les paroles caressantes d’Alexis. Cette conversation devenait intéressante. Mais l’homme mit un terme au côté jovial que prenait la discussion, revenant encore sur le sujet de la solitude. Pourquoi insistait-il autant là-dessus? Ses mots étaient convaincants mais engloutissants, et Christie n’appréciait pas trop l’atmosphère qu’il essayait d’installer. Il tentait de gagner sa confiance bien trop vite, plutôt que d’apprendre à la connaître. La rencontre avait été étrange, oui. Certes, ce n’était pas une raison pour tout faire à l’envers! La jeune femme sentait qu’il en serait ainsi et qu’elle n’y pouvait rien. Elle accepta donc la chose, faisant face à la situation. Christie réfléchit longuement suite aux paroles du ténébreux. Elle ne savait pas si elle devait… Elle hésitait tellement… Il y eut un long silence. Puis elle sentit qu’elle n’avait pas le choix. Après un long soupir de désespoir, elle parla enfin.

« D’accord, vous voulez vraiment savoir ce qui cloche? Je vais vous le dire… On va voir si vous êtes aussi bon à l’écoute que vous le prétendez… Après tout, on m’a répété un tas de fois qu’il était plus facile de parler de ses problèmes à un étranger, donc ça ne m’inquiète pas trop… Erg… Bon, je me lance… J’ai perdu ma petite sœur quand j’avais seize ans. Elle s’appelait Ann et elle en avait treize. Elle était très sportive, et en faisait toujours à sa tête. Elle se rebellait tout le temps… Et quand j’étais avec elle j’étais bien… Je n’avais jamais peur de faire les choses quand elle était là… Elle s’est faite assassinée par un homme qui en voulait à mon père pour une terrible chose qu’il avait commise. Cet homme a donc étranglé Ann, sous les yeux de toute ma famille, y compris les miens… Elle était terrifiée, et je la voyais pleurer alors qu’elle se battait pour sa vie. Elle était devenue tellement pâle, et je voyais sa terreur… Je la voyais… Jamais je n’avais vu autant de crainte chez quelqu’un, avant. Je me rappelle avoir ressenti des picotements partout. C’était tellement horrible… Je la voyais mourir et je tremblais de peur. J’avais tenté de blesser ce meurtrier, je l’avais frappé au visage et j’avais tiré ses bras vers moi, mais il était trop fort. Et j’étais la prochaine. Ma sœur était sans vie sur le sol, et j’allais y passer. J’ai survécu, et c’est injuste. Elle méritait sa vie, elle en aurait fait tellement plus que moi… C’est vraiment injuste… »

Un autre long silence s’installa entre les deux, durant lequel Christie baissa les yeux, frissonnant d’horreur. Elle revivait le moment… Elle se sentit dégueulasse, l’espace d’une seconde. Elle releva le visage pour fixer les yeux d’Alexis, cherchant dans ceux-ci le réconfort…

« Puis mon père m’a sauvée avant que j’y passe… Em… Ça lui a coûté la vie parce que maintenant il est en taule. Et pis il restait plus que ma maman et moi… Ma maman, la pauvre. Elle était tellement malheureuse. On éclatait en sanglots à chaque fois que nos regards se croisaient. Et on se serrait tellement forts, mais ça ne changeait rien à notre peine. Rien… Le chagrin grossissait chaque jour… On faisait de notre mieux pour se faire vivre. Et on s’engageait dans des activités pour oublier notre malheur. Il ne nous arrivait jamais de sourire, de rire, pas même d’être contente, d’être heureuse. Pas une fraction de… »

Christie s’interrompit. Sa voix devint tremblotante… Ses yeux s’humectèrent d’amères larmes qui ne coulaient pas, sa gorge se noua douloureusement. Elle en avait la vue brouillée et elle ne savait plus où poser le regard. Elle était perdue…

« Em… Après je me suis fait kidnapper… Pendant un très long moment… T’arrives à croire? Et ma mère, eh ben… Elle s’est pendue..! »

Christie n’en pouvait plus. Couvrant son visage d’une main, elle sanglota, laissant les larmes perler sur ses joues, qui rougissaient. La peine était insoutenable, son chagrin était un supplice. Parler de son passé la mettait dans un grand tourment…

Ça payait, d’être nostalgique, en cette soirée qui s’annonçait effroyable pour la jeune femme. Ressasser son affreux passé ne se faisait guère sans conséquence, si prodigieux soit-il. Ça allait lui coûter les larmes du corps, à la jolie Christie. La lame du passé était tranchante, et à chaque fois qu’elle y touchait, elle se blessait. Pourtant, elle n’arrêtait pas d’y faire glisser sa main, s’y coupant encore et encore... C’est bizarre à dire, mais Saymev était en quelque sorte dépendante de ses sombres pensées. Et même si une atroce peine la foudroyait à chaque fois qu’elle remémorait les vieux souvenirs, elle préférait se blesser plutôt que de les oublier, car d’une certaine façon ils lui étaient précieux. Ils lui rappelaient qu’elle avait été humaine, et qu’elle l’était toujours. Qu’elle pouvait encore ressentir la confusion, le trouble, la tristesse, le désespoir... Qu’elle avait des sentiments, qu’elle n’était pas un monstre. Le chagrin la gagnait, la douleur l’accablait, l’amertume l’angoissait, pourtant, elle trouvait la sensation magnifique. Elle se retrouvait enchantée d’une belle vulnérabilité, affichée d’un tendre désarroi, d’un besoin de réconfort et d’amour inconditionnel. Ça lui permettait d’explorer toutes les facettes de sa personne, de la plus froide à la plus chaleureuse, de la plus heureuse à la plus malheureuse. Elle prouvait que, comme tout autre être humain, elle était soumise à ses états d’âme telle une esclave à son maître. Et c’était sublime. Elle se sentait illuminée comme une splendide présence divine en ascension, et elle se trouvait humainement ravissante. Elle devenait complice avec ses émotions, tels des acolytes soudés par la promesse et unis par un serment d’amour fraternel. Christie n’ignorait pas ces petits appels à la Terre, non. Elle assumait sa personne, et elle n’avait pas peur de pleurer, de se laisser entraîner par la mélancolique mélodie qui racontait sa vie. Elle brillait d’un éclat qui constituait toute sa beauté, même si la peine altérait les traits de son visage.

Ses yeux de couleur jade recelaient la tristesse infinie que jamais personne ne pourrait purger de son âme, et ils pleuraient d’amères larmes qui perlaient sur les joues, qui roulaient jusqu’au bas de son visage, captant une étincelle de lumière. Christie les essuya avec sa manche, et elles s’épandaient légèrement sur le visage de la douce, se séchant rapidement. Mais d’autres larmes coulaient, plus abondamment. Sa vue s’embrouillait de plus en plus, et son cœur se serrait dans sa poitrine. Elle pouvait visualiser les sourires sur les visages des membres de sa famille. Elle se rappelait exactement de quoi tous et chacun d’eux ressemblaient lorsqu’ils pleuraient, lorsqu’ils étaient en colère, et aussi lorsqu’ils souriaient.

Elle s’en rappelait... De la dernière fois où son père avait souri. Quelques instants avant le meurtre d’Ann. Les deux filles avaient planifiées de sortir avec leur mère. Elles ne savaient pas trop ce qu’elles allaient faire, mais bon. Christie avait taquiné son père, comme quoi il était tellement obsédé par le travail qu’il ne consacrait jamais du temps pour elle. Il lui avait promis une journée juste pour eux la fin de semaine prochaine, et ils s’étaient échangés un sourire chaleureux, avant que la porte ne soit défoncée... Christie avait pu voir la joie s’évanouir sur le visage de son papa. Elle avait sursauté au défoncement de la porte, certes, c’était de voir la peur défigurer les traits de son père qui l’avait le plus effrayé, ce moment-là...

Elle ne l’avait jamais vu dans cet état, auparavant... C’était de sa faute à lui si Ann était morte. Si ça n’avait pas été pour son travail, personne ne serait venu étrangler la pauvre adolescente. Christie lui en voudrait pour toujours. Elle lui souhaitait toute la souffrance du monde, et lui vouait une haine inexprimable. Même si elle l’aimait encore... C’est normal qu’une jeune fille puisse haïr un menteur, un assassin qui tient un rôle dans la mort de sa mère et sa sœur, si minime soit-il, mais qu’elle puisse aimer un père, un bel homme humble et généreux responsable de sa naissance qui toute sa vie a aimé ses filles, les a protégées et les a aidées à grandir. Il n’était pas un mauvais père, non. Mais l’erreur de jugement qu’il avait commise était impardonnable.

À présent sa mère et sa jeune sœur ne faisaient plus parti de ce monde. Elles étaient ailleurs, ensemble peut-être, ou séparées. Elles voguaient sans-doute, telles deux entités flottantes planant délibérément dans les champs du Paradis, délestant à travers les forêts enchantées, baignant dans la richesse éternelle de l’après-vie. Ou alors elles agonisaient dans une chute lente, telles deux flocons de neige tombant vers un tapis blanc dans une froide nuit hivernale de Janvier, dans un pays nordique, ou alors comme deux âmes déchues laides et infernales en défaillance à la recherche de proies à dépouiller, d’esprits à troubler, de convictions à briser, de croyances à détromper. Elles incarnaient peut-être le mal, poignardant mystiquement les êtres vivants pour les affliger de réelles souffrances, décidant du cours du destin pour mener la vie des gens à une falaise et les pousser au suicide, manipulant intensément les humains pour les rendre fêlés et dérangés... Étaient-elles terribles, en quête de vengeance, rongées par le remords, frustrées d’avoir quitté le monde des vivants...? Existaient-elles encore? C’étaient-elles éclipsées dans la noirceur intemporelle et inextinguible, étant immatérielles et inexistantes pour toujours...?

De faire défiler dans son esprit toutes les possibilités, toutes les surprises que nous réserve la mort était éprouvant pour Christie, ingénue et candide comme tous les autres êtres respirant l’air de cette Terre. On est impuissants face à cette réalité terrorisante, et on cherche réponses en questionnant nos précédents se retrouvant six pieds dans le sol. Comment l’ont-ils vaincue, cette naïveté qui poussait leur curiosité à des limites infranchissables, alors qu’ils dépérissaient lamentablement? Comment ont-ils acceptés la mort, qui est si dure à encaisser pour n’importe qui? Comment...? Christie n’accepterait jamais de mourir, elle pleurera, elle criera en se battant pour sa vie, telle une guerrière tenant fermement son glaive face à l’ennemi. La morte est désarmante, nous dénudant, nous infligeant l’embarras et la peur. Mais rien ne pouvait battre l’assurance et la croyance. Et si elle y croyait, Christie savait qu’elle ne mourrait pas jusqu’au moment opportun.

Mais comment eux avaient fait? Tous ces morts qui n’étaient pas prêts? Est-ce que c’était difficile, est-ce qu’ils ce sont résignés, ou alors ont-ils acceptés, faisant paix avec eux-mêmes, avec ce qui leur arrive... Toutes ses questions... Toutes ses questions qui parfois se bousculent dans notre être et nous poussent à agir malgré nos valeurs et nos traits de personnalité, qui nous redirigent vers une autre destinée, qui nous permettent de nous épanouir, de vivre en nous enseignant que c’est une erreur de s’attarder aux préjugés et aux malheurs encombrants, qui nous permettent d’aimer, de profiter de la vie, cette étrange chose dont on nous a fait cadeau; cette étrange chose phénoménale aux origines inconnues qui a donné naissance à toute cette culture, toute cette histoire, toute cette nature, et qui fait de nous des hommes et des femmes accomplis. C’est dans les rires et dans les pleurs qu’on en apprend sur la vie et sur nous, et le secret pour obtenir une belle vie, pour être capable d’être satisfait à ses quatre-vingt dix ans, de mourir un sourire au visage; ce secret, c’est d’ouvrir son cœur.

Et c’est ce que Christie a fait, aujourd’hui. Elle a ouvert son cœur. À un inconnu. Le sang courait froidement dans son corps, dans ses veines, et l’insécurité s’enfonçait jusque dans sa chair. Lorsqu’Alexis se pencha vers elle, tendant délicatement le bras pour effleurer sa peau, elle frissonna, encore un peu incertaine de la situation dans laquelle elle s’engageait. Baissant le regard au sol, elle respirait plus tranquillement, gagnant un état de sérénité. Elle savait que jamais elle n’allait apprendre à encaisser la douleur sans manifester sa tristesse, ce qui la fit rigoler intérieurement. Devant les étrangers, en plus... Les étrangers affectueux...

Elle trouvait étrange qu’il s’attarde à elle avec tant de douceur, comme si depuis toujours elle avait été chère à ses yeux, alors qu’il ne la connaissait que depuis quelques instants. L’attention qu’il lui portait la figeait, la paralysait, la plaçait dans un certain inconfort, mais la comblait merveilleusement d’un sentiment qui ressemblait beaucoup à l’affection. Elle n’avait pas tellement peur, comme n’importe qui d’autre l’aurait été à une approche aussi rapide et aussi déstabilisante. Elle avait rencontré beaucoup de gens, et ne savait plus trop comment différencier le bien du mal, ce qui la rendait un peu trop naïve. Elle ne décelait donc guère le côté trop étrange de la scène...

Alexis l’engagea à nouveau, s’exprimant d’une parole habile et belle. Christie observait le changement d’émotion sur le visage de son interlocuteur, et en fut attendrie. Il la convainquait un peu plus doucement d’accepter son aide, d’attraper la main qu’il lui tendait. Elle appréciait sa compassion, et voulait vraiment partager ce sentiment d’appartenance et de bonheur qu’Alexis voulait entretenir avec elle. Il l’invitait, et elle s’apprêtait à accepter. Mais c’est là que l’étrangeté de l’affaire la frappa : tout à coup, tout sembla biscornu, bizarroïde, anormal, tordu... L’homme vint attraper la main de la jeune femme, qui ne ressentait plus autant la chaleur et la bonté du geste. Elle leva les yeux sur lui, fronçant légèrement les sourcils. Un sentiment vraiment étrange s’éprit d’elle, indescriptible. C’était une rencontre insensée, inouïe sans le sens admirable du terme, et la jeune femme sentait le besoin de s’effarer sur le sol, de prendre du recul, de...

Elle avait trouvé stupéfiant le fait de s’être rapprochée aussi rapidement d’un être, et tout cela devenait trop troublant. C’était comme si une force extraordinaire avait décidé de nier la naïveté que possédait la jeune fille, comme ça, tout d’un coup. La complexité de la situation la sidérait. Elle était atteinte de confusion renversante, devant toute cette extravagance. Alexis s’interrompit, affichant un sourire honnête... Un sourire qui permit à Christie de comprendre pourquoi elle s’était laissée entraînée. Il était charmant, gracieux, bon, ses paroles belles et prometteuses. La jeune fille avait été flattée... Mais ça ne suffisait pas... Retirant la main d’Alexis de sur sa joue, elle sourit à son tour, un peu indécise, les larmes au bord des yeux. Elle entama la discussion d’une voix basse et tremblotante...

« Écoutez, eum... J’apprécie votre geste, vraiment... C’est très aimable et vous n’avez pas idée à quel point vous venez de m’aider... Et je vous en remercie... Mais je crois sérieusement que c’était une erreur de vous dire toutes les choses que je vous ai dites. Je me déballe rarement de cette façon et je dois vous admettre que je n’ai ressentie aucun malaise à le faire, mais je pense que... J’aurais pas dû, parce que je vous connais à peine et éthiquement je ne trouve pas correcte d’accepter votre aide. Je me suis un peu sentie forcée de vous raconter les faits, et vous êtes d’accord avec moi pour dire que vous m’y avez légèrement poussé... Je veux pas vous accuser de rien, c’est juste qu’en ce moment je ne suis pas confortable du tout et je préférerais... »

Christie s’interrompit. Elle ne savait plus trop comment s’exprimer, elle ne savait pas non plus ce qu’elle voulait exactement de lui. Elle voulait s’abandonner à lui, mais en même temps elle n’aimait pas l’emprise qu’il avait sur elle et elle voulait qu’il s’en aille...

« Je crois que vous devriez partir... », lui chuchota-t-elle tristement.

H J : Désolé pour le courte poste chou. L'inspi me manque. T'en fais pas la musique c'est moi ^^ Tout le monde met d'la musique alors je tente le coup. Je l'enlèverai à ton prochain poste.

Christie se sentait de moins en moins confortable dans cette conversation. Elle se sentait naïve. De se retrouver là, accablée par une amère tristesse, à pleurer la mort de sa famille. Elle était là, elle, ici à ce moment précis, et eux ne l’étaient pas. Elle était triste, chagrinée, et son cœur battait douloureusement dans sa poitrine, épris d’un serrement, d’une violente étreinte de rage et de peine. Elle était là, et pas eux. Ils l’avaient abandonnée à son désespoir. Elle avait besoin de l’amour de sa mère, maintenant. Elle avait besoin de la consolation de son père. De l’amitié de sa jeune sœur... Et tous trois lui avaient tourné le dos... Christie se sentait poignardée, à les vouloir vivants, présents à ses côtés, alors qu’eux avaient pulvérisé tout lien d’amour les liant à la jeune fille, mourant ou disparaissant... N’auraient-ils pas pu se battre pour préserver la joie de vivre de leur fille, son père et sa mère? Son père l’avait négligée toute sa vie, et maintenant il serait privé de sa fille toute sa vie. Plus aucun moyen de lui prouver son intérêt, son amour... Était-il fier de se retrouver derrière les barreaux, hors de portée du monde entier et de toutes les belles choses que la vie peut offrir à un être humain? Maintenant qu’il connaissait les conséquences de ses actes barbares et inhumains, regrettait-il d’avoir emprunté ce chemin hargneux, symbolique à l’abomination pure?

Et sa mère, qui s’était lamentablement pendue. N’aurait-elle pas pu se donner une seconde chance? À elle-même et à Christie? Avant de se retirer la vie... Tracy avait toujours eu peur de la mort, évitant ce sujet de conversation de manière remarquablement habile lorsqu’elle était interrogée. Et maintenant elle était morte. Enterrée, probablement, ou libérée dans l’air, brûlée en cendres. Volatile dans l’air tel les oiseaux, mais divisée en minuscules particules répandues dans l’air. Des particules de son propre corps qui chantaient mélancoliquement sa triste mort, emportés par le courant, voltigeant tristement et pathétiquement dans l’air, transparents... Était-elle fière de n’être qu’un triste souvenir dans la mémoire de ses proches, à présent? Peu importe où vraiment elle se retrouvait à présent, était-elle satisfaite d’avoir détruit des vies pour ses propres caprices? Elle n’existait plus. Elle avait mis un terme à sa vie. Pour de bon. Fini. C’était dégueulasse de voir à quel point la vie recelait des facettes sombres. Pourquoi Dieu avait-il donné à l’humain la capacité d’aimer et de s’attacher? Les bons se retrouvaient à souffrir profondément, et les mauvais qui salissaient l’image de la société souriaient machiavéliquement, gâtés par le mal qu’ils créent autour d’eux.

Le monde devient terrible. On pollue sans remords, et on se met à aimer des petites machines électriques plus que ses parents. On devient insensible aux torts, aux morts et à la torture. On devient égocentriques et on ne se concentre que sur ce qui gravite autour de nous, ignorant le malheur des autres et les signaux de détresse, oubliant de donner des coups de main aux gens en ayant besoin. Les émotions disparaissent pitoyablement, et on laisse la voix démoniaque de l’esprit vilain guider nos pensées et nos gestes. Les gens sont superficiels et impunis de leurs gestes cruels, de leurs mensonges et péchés...

C’était répugnant, tout simplement. Et Christie se sentait naïve pour cette raison. Elle pleurait la mort de sa famille et se tortillait de douleur, alors que d’autres dans ce monde faisaient souffrir et étaient plus heureux qu’elle. Ça ne payait pas de souhaiter le meilleur ni de pleurer son malheur, car à la fin on s’en sortait toujours perdants. La raison est cruelle, terrible et sadique, et elle écrase les âmes sensibles et généreuses. Le temps s’écoulait sans-cesse et les secondes pénibles mais précieuses de la vie de Christie s’évadaient une par une, s’installant confortablement dans l’irréel qu’est le passé. Tous les moments que l’on vit ne restent vivants que dans l’esprit, et finissent par s’évanouir avec les personnes, leur heure de mort sonnée. À quoi ça sert...?

À quoi ça sert de pleurer... D’être triste, de s’en faire pour les gens qu’on aime, d’aimer, d’apprécier les bons moments et de chercher à se combler? À quoi ça sert, merde... On sait que ça finit mal à la fin. À quoi ça sert de s’exprimer si on se fait toujours juger de la mauvaise manière, à la fin. On ne se fait plus confiance, on réprimande nos propres actions et on se questionne sur nos fondements. Lentement, on creuse soi-même notre tombe. Car on meurt lentement, lors de notre existence... Et c’est la faute aux autres.

C’est de la faute de ses parents, si elle est triste. Les gens biens sont rares dans ce monde, et ils sont précieux. Christie pleurait car elle venait de réaliser que sa famille ne faisait pas parti de ce monde-là. Mais elle était en quelque sorte apaisée. Devant elle se trouvait une de ses personnes, qui s’attardait à une pure étrangère, sensible à ses larmes. Il l’observait, et elle étudiait ses traits en retour. Et ils partageaient un moment de tendresse ensemble, hypnotisés l’un par l’autre. Séduits et envoûtés par les mots doux de l’autrui. C’est ce genre de moment-là que l’on souhaite à tous les autres, à toutes ses âmes tourmentées qui ne cherchent que le réconfort et le secours.

Christie l’avait renvoyée car selon elle ce n’était pas « éthique » de se permettre ses moments d’abandon avec un pur étranger. Mais qu’est-ce qui était correctement bien, dans la vie? Tout le monde finissait par se permettre des actes égoïstes et ingrats. Étais-ce possible de vivre toute une vie sans briser quelques petites règles stupides imposées par les autres? Pourquoi fallait-il respecter la société? Parce qu’elle était majoritaire? Pourquoi était-il incorrecte d’aimer quelqu’un de plus vieux ou de plus jeune, quelqu’un du même sexe, quelqu’un de laid, malade... Parce que ça dégoûtait certains...? Ces personnes ont tous les droits... D’aimer et de se respecter, pour eux, est aussi valide que pour n’importe qui. Et ils sont probablement les seuls de ce monde à partager de belles valeurs, car ils se permettent de vivre et de monter malgré les préjugés, alors que les autres se contentent de juger comme des cons.

Christie comprenait, maintenant. Elle allait se foutre de la société et de l’éthique de ce monde. Elle allait s’en foutre et vivre comme elle l’entendait. Fini des fondements pathétiques de la société. Elle battit des paupières, et à partir de ce moment-là, tout changea autour d’elle.

Tout changea, littéralement. Mais pas comme elle l’aurait voulu...

Les yeux d’Alexis devenaient corrompus par l’obscurité, virant complètement au noir. Ses traits exprimaient la rage et la peur. Un poids lourd écrasa durement Alexis, qui s’affaissa sur sa chaise, les membres tremblants. Christie se leva d’un bond, un bazar farfelu de questions s’entrechoquant dans son esprit. Elle comprit bien vite ce qui se passait, étant familière avec ce genre de situations. Elle ne comprenait par contre guère ce qui avait enclenché cette réaction, et ce que le futur lui réservait. Christie devint rapidement très nerveuse. Ignorant les conseils d’Alexis, qui lui priait de quitter, elle chancela vers l’arrière, pétrifiée devant la perplexité de la situation. Elle ne réagit guère lorsqu’Alexis s’en prit à un serveur.

« ALEXIS, QU’EST-CE QUE TU FAIS? ARRÊTE », se contenta-t-elle de dire, ne bougeant pas de sa place. Son sang se glaça au cri maléfique d’Alexis. Il résonnait jusque dans les plus petites cavités imaginables du corps de Christie; elle sentit son âme se séparer de son corps, comme pour s’enfuir, tellement le cri avait été terrible. Puis un épais voile noir masqua la vue de la jeune fille. Là, elle paniqua. Elle ne voyait plus rien, elle n’entendait pas le moindre son. Elle ne sentait plus son corps, ni son cœur battre. La seule chose qui semblait encore présente était sa conscience. Elle était vivante, voilà tout. Les émotions renaquirent à nouveau en elle, et l’affolement la fit crier. Elle entendit ce cri, et se mit à nouveau à voir. Elle était enfin libre de cette vilaine emprise. Que diable venait-il de se passer...?

Alexis s’excusa tristement et s’empara de son manteau, prêt à quitter.

« Mais, attendez... ATTENDEZ... », S’attarda-t-elle, le rejoignant rapidement. Elle attrapa la main du jeune homme et la garda dans la sienne, cherchant le regard fuyant du bel Alexis.

« Je me suis trompée, tout à l’heure... Je vous veux dans ma vie... Je veux encore vous parler, et je veux en apprendre plus sur vous... Sauf qu’on ne peut plus rester ici... Vous avez usé de votre pouvoir et il serait dangereux que nous restions là. Encore plus dangereux si on restait ensemble, car j’en possède un moi aussi... Il faut qu’on se quitte, ce soir...»

Don't you look so sad
You know it can’t be that bad
Just consider it to be
Another way you'll see me
Did you forget your place of ambition?
I've seemed to move you from your only position
you’re so afraid of my reality cause it burns your eyes
Makes you sad and lonely

Christie était hésitante, indécise, incapable de faire un choix, de prendre une décision. Embarrassée de la rapidité avec laquelle elle s’était juchée sur l’homme pour le retenir, la belle blonde se posait une centaine de questions sur la relation qui se développait entre les deux individus. C’était trop rapide, bien plus rapide que n’importe quels lien qu’elle avait pu tisser avec d’autres gens dans toute sa vie. Les coups de foudre n’existaient que dans les comptes de fées : telle était la devise de la magnifique espionne de l’O.W.I., incrédule à l’idée de soudainement tomber amoureuse d’un homme, ou seulement rapidement avoir une attirance, aussi innocente soit-elle. Pourtant, elle se retrouvait captivée par le sombre regard de l’homme qui semblait la déchiffrer, la percer, la séduire à une vitesse hallucinante, voire effrayante. Elle partageait l’intérêt qu’il portait pour elle, mais elle était chamboulée par la crainte qui se manifestait en elle. La situation ne lui était guère familière. À loin remonte la dernière fois où elle a tenté d’entreprendre ce genre de relation avec autrui. Les jeux d’amours sont comme les jeux de chance : on ne gagne que très rarement. Il faut savoir où parier, où se risquer. Deux choix : se retirer, ou rouler les dés. Allait-elle vraiment tenter le coup, ou se permettrait-elle encore une fois d’être malheureuse, triste, affligée du tourment insupportable qu’est la solitude? Elle avait un problème, et elle le savait très bien : elle avait de la difficulté à mettre sa confiance dans les mains des autres. Elle savait qu’un jour elle devrait faire un pas vers l’avant, laisser le passé derrière elle et grandir, se défaire du lourd fardeau qu’elle s’acharnait à porter, à traîner partout avec elle; un fardeau qui lui pourrissait l’existence. C’était désolant, de voir tout ce tracas dont elle n’osait guère se débarrasser. C’était étrange, voire sadique, de sa part, de s’infliger tous ses supplices. Ça frôlait l’insanité. En effet, c’était très absurde.

Sa respiration se faisait plus bruyante, et l’air devenait épais. Timide devant le bel inconnu, et complètement charmée par ses airs ténébreux et son regard aussi sombre que minuit, Christie fuyait un peu son regard, masquant ses sourires en coin en penchant la tête vers le bas. Proche de l’étranger, elle remarquait que l’atmosphère changeait régulièrement, dans les courts moments qu’elle passait avec Alexis. Tout était si contradictoire... Le bel homme s’était montré très galant, quelques instants plus tôt, lui proposant sa compagnie, ainsi qu’un chic repas dans ce beau restaurant dans lequel ils s’étaient retrouvés. Pourtant, il ne lui avait pas tapé dans l’œil. Puis c’est lorsqu’il a eu une crise de panique, plongeant la pièce dans une obscurité inquiétante et terrorisant tous les clients, qu’elle avait réalisé qu’il l’intéressait. Rien ne faisait du sens, mais la naïve et jeune blonde continuait de laisser ses émotions et ses ébats la guider, fière de ses instincts. Elle regrettait tout de même tout ce qui venait de se passer : elle regrettait la situation dans laquelle elle avait rencontré Alexis, ayant voulu que les circonstances soient différentes; elle souhaitait également que ça ne se poursuive pas aujourd’hui, épuisée et exténuée par les événements de la journée, et confuse et troublée par tous les sentiments trompeurs qui la taquinaient à l’intérieur et lui gênaient le bas-ventre. Elle leva le regard, étudiant à nouveau les traits de l’homme. Une voix se dégagea de ses lèvres, sa langue se collait à son palet et redescendait se loger au bas de sa bouche. Ses dents étaient comme des perles blanches parfaitement alignées, ses lèvres se pliaient pour former les mots et les lettres. Ses paupières battaient lourdement, son regard engageant et envoûtant l’ensorcelait. Le son de la grave voix d’Alexis parvenait à ses oreilles, berçant son esprit, l’apaisant lentement, mais elle n’écoutait pas les paroles, ayant l’esprit vide. Elle n’entendait qu’une voix, une voix qui parlait sur un ton mélancolique, un ton qui racontait une histoire, qui murmurait une confession. Ses paroles lui pénétraient l’esprit ardemment, et elle était submergée de surprise et de tristesse, étonnement.

Ils étaient devant la porte, et dehors le temps se faisait noir et hostile. Elle ne comptait pas trop s’éterniser ici, surtout que les regards meurtriers se fichaient sur elle, grandissant en nombre. Mais elle ne bougeait pas, paralysée. Elle fixait la noirceur à travers la fenêtre, et elle se rappelait les nuits durant lesquelles elle rêvait de joie et d’amour inconditionnel. Ces rêves se terminaient toujours par un réveil pénible où, aveuglée par la lumière insupportable du soleil, elle réalisait que la réalité de ce monde était terrible et que jamais la vie ne ressemblerait à ce qui se trouve dans ses rêves. Elle en avait le cœur brisé. Mais en ce moment là une lueur d’Espoir semblait éclairer la jeune femme, et sa lumière n’était guère irritante, comparée à celle des durs réveils. Les étoiles semblaient s’aligner en faveur de la jeune femme, ce soir. Les tonnerres et les éclairs qui jadis avaient chevauchés la vie de Christie semblaient se dissiper, es les nuages sombres s’écartaient.

Christie reporta à nouveau attention à la situation, libérée de toutes ses divagations. Elle pouvait à nouveau écouter les douces paroles invitantes du séducteur, qui allumaient dans ses yeux des étincelles éclatantes. Ses joues prenaient des couleurs. Ça la gênait vraiment beaucoup. Personne n’avait porté attention à elle, dernièrement, et elle avait passé ses journées et ses soirées à se rabaisser et à se dévaloriser intérieurement. C’était assez nouveau pour elle d’être le centre d’attention d’un si beau garçon, qui la comblait de belles promesses et de compliments agréables. Elle se laissait amadouer par lui et convaincre par ses mots qui la serraient d’une agréable étreinte chaleureuse et comblante. Le sourire taquin qu’il afficha lui arracha également un sourire également coquin. Le dévisageant d’un air espiègle et malicieux, elle tentait de deviner ses intentions. Il était doué avec les mots, assez pour l’avoir convaincue de lui tenir compagnie ce soir, même si elle doutait grandement que ce soit une bonne idée. Il ne savait même pas son nom! Ce serait malsain de quitter sans même lui dire... Elle pouvait donc se permettre de rester un peu...Quand-même.

Après une brève conversation avec un garçon, le bel homme entraîna Christie avec lui, lui attrapant la main et prenant les devants, la guidant vers les marches. Encore une fois, tout s’était passé vite. Sauf que la jolie jeune femme commençait à être habituée. Elle ne posa pas de questions cette fois-ci, se contentant de se laisser faire, un sourire révélateur au visage. Elle grimpa les marches avec Alexis, jetant une dernière fois un coup d’œil derrière pour se rendre compte de tous ses gens qui les suivaient du regard, retenant leur respiration. Alexis leur avait vraiment fait peur. Fronçant les sourcils, elle s’interrogea à nouveau sur la situation dans laquelle elle s’engageait. Ça n’avait pas duré longtemps, en tout cas. Elle était bien trop nerveuse et inquiète pour se permettre de tout de suite se détacher de son passé. Mais elle devait se laisser du temps, et ça, heureusement, elle en était consciente. Elle arriva finalement à l’étage supérieur, alors qu’elle sortait de ses pensées. Ça ressemblait beaucoup à celle d’en bas, mais un détail flagrant et très important faisait toute la différence : ils étaient seuls. Souriant de plus bel, elle suivit Alexis, qui semblait la mener à un piano noir. Il était beau et bien propre, et la lumière se reflétait parfaitement sur les multiples surfaces de l’instrument. Avant même de se rendre compte de ce qui se passait, elle vit, à sa grande surprise, Alexis, assis et très bien installé devant le piano. Apparemment, lui aussi était fasciné par ce beau joyau. Alexis prit à nouveau la parole, et elle l’écouta attentivement. Il expliquait comment il avait appris à jouer de l’instrument, et Christie était contente qu’il parle un peu plus de lui. Il ne connaissait pas le nom de la jolie blonde, certes, il en savait déjà beaucoup sur elle, qui ne s’était pas gênée pour s’ouvrir à lui quelques instants plus tôt. Maintenant, c’était un peu plus équilibré des deux côtés. Restait plus qu’elle réussisse à lui dire son nom. Mais elle le gardait secret, pour le moment, attendant un moment opportun pour tenter de reproduire une scène assez classique que l’on pouvait retrouver dans presque tous les romans d’amour banals.

Les doigts de l’homme se mirent donc à jouer la mélodie, glissant sur les touches et les touchant avec grâce et beaucoup de beauté. Éprise d’une soudaine anxiété, Christie serra les cuisses, déjà impressionnée par le talent et la dextérité du bel Alexis qui s’annonçaient prometteurs. Il se mit à nouveau à parler, et Christie reconnut le ton qu’il avait employé quelques minutes plus tôt, quand ils s’étaient parlé alors qu’elle l’Avait rattrapé. S’appuyant sur le grand instrument, Christie fixait Alexis, avec beaucoup de compassion, et déjà beaucoup d’affection. Ses yeux se plissaient, et son sourire continuait de s’étirer, touchée par les paroles qu’il prononçait à son égard. La mélodie était magnifique, et ses mots bouleversants, marquants. Elle tombait sous son charme, qui se manifestait dans l’effort qu’il mettait à jouer cette mélodie. L’espace se refermait sur eux, les isolant et les enveloppant d’une atmosphère intense et magnifique. Christie était plongée dans une transe agréable et renversante. Tout semblait irréel, et elle se perdait dans les notes qu’Alexis jouait ainsi que dans les belles paroles qu’il prononçait à son égard. Il était tellement passionné, et elle adorait ça... Le jeune homme faisait beaucoup allusion au coup de foudre, dans ses paroles, et à nouveau la jeune femme se posa des questions...

Alexis se mit à chanter, et Christie en eut le souffle coupé. Littéralement. Comme les gens qu’elle avait vus en bas, elle retenait sa respiration, prise d’admiration par l’homme qui jouait devant elle, pour elle. Ses membres devenaient faibles, et elle se sentait très fragile. La mélodie vibrait en elle, avec chagrin et tristesse, avec beauté et splendeur. La morosité et le chagrin d’Alexis se faisaient ressentir avec beaucoup d’intensité, et elle en était tout simplement éblouie. Par une simple chanson, il changeait la vie de la femme, la sensibilisant à sa peine et son tourment et la comblant d’une magnifique sensation irremplaçable. C’était tout simplement parfait. Tout semblait s’évaporer autour d’elle, et sa vision s’effaçait doucement. Elle perdait la vue, ainsi que le contrôle de tous ses autres sens. La mélodie parvenait à ses oreilles avec tellement de beauté, qu’elle en devenait presque délirante. Son cœur battait avec beaucoup de puissance et de nouvelle passion brûlante pour ce beau garçon plein d’ambitions et de promesses. Elle était médusée par le talent et l’engouement avec lesquels il jouait. Elle en devenait ivre, possédée par l’ange et le démon caché dans ce chant, dissimulé sous d’autres facettes encore. C’était complexe, comme sentiment. Elle était tout simplement guidée par l’esprit d’Alexis, qui s’ouvrait entièrement à elle.

La mélodie se termina, et Christie rouvrit les yeux, les ayant inconsciemment fermés afin de mieux apprécier ce délice qu’Alexis lui offrait. Elle était bouche bée d’admiration devant lui, tentant de trouver les mots justes pour exprimer toute la gratitude qu’elle avait pour lui à cet instant précis. Après avoir balbutié quelques paroles, elle s’était tue, laissant Alexis parler.

-Mais bien-sûr que j’ai apprécié, Alexis wow... C’était tellement magnifique, que la seule chose que je puisse vous reprocher est que vous ayez daigné croire que je puisse nier avoir apprécié une aussi belle prestation. C’était...tellement...Les mots me manquent, je vous jure. C’était sublime, que rien ne peut décrire mon appréciation. Wow... C’était parfait... Merci...! Oh.

La jeune femme s’avança vers lui, sourire moqueur au visage.

-Ça aurait été parfait si seulement vos cheveux étaient moins ébouriffés..., trancha-t-elle sur un ton coquin. Les cheveux d’Alexis étaient très biens, mais elle le taquinait innocemment, passant sa main dans les cheveux du bel homme, replaçant quelques mèches.

-Votre front est doux...

Christie lui adressa un mince sourire humble, repassant le revers de sa main sur le lisse front du beau garçon. Ce qu’il avait fait pour elle était magnifique, et elle n’allait jamais l’oublier, peu importe ce qui allait se passer entre eux. Christie repensa aux paroles qu’il avait prononcées à son égard, alors qu’il avait commencé de jouer la mélodie.

-Alexis...Vous croyez aux coups de foudre?

La magnifique mélodie qu’Alexis avait jouée ne laissa guère la ravissante jeune femme indifférente, qui repassait en boucle l’air magique dans sa tête. Le message que l’homme ténébreux avait communiqué par la chanson était si sublime, et l’impact avait été puissant sur Christie. L’air mélancolique la hanterait longtemps, et la voix lugubre qui avait accompagné les notes lui rappellera les jours funèbres où elle avait pleuré sa mère et sa sœur. Ce moment qu’ils avaient partagé avait beaucoup de valeur pour Christie, et la beauté de cet homme la sidérait. Il était beau. Beau, pur, magistral. La jeune femme avait déjà beaucoup d’affection pour cet étranger qui venait à peine de faire une entrée dans sa vie. Elle se sentait toute fragile, toute délicate en présence d’Alexis, et tout ce qu’elle voulait, tout ce qu’elle désirait vraiment était de partager avec lui encore plus de moments de tendresse. Une intuition lui chuchotait avec insistance et obstination qu’elle s’enroulait dans des draps, qu’elle tombait dans un piège, le piège de l’amour; ce pressentiment lui hurlait de faire volte-face et de fuir; de fuir ce sentiment naissant, d’atténuer ce feu qui brûlait en elle, d’étouffer cette envie d’aimer, de taire cette convoitise du bonheur. Elle était tentée, et cette ambition la démangeait. Il y avait un conflit dans son âme, une bataille acharnée. Christie ne savait pas pour quel camp elle penchait. Elle ne savait pas qui, ou plutôt quoi, se battait. Ses émotions lui tournaient le dos, la désertaient, lui devenaient inconnues. La mélodie continuait de jouer dans sa tête, pourtant le silence dominait. L’atmosphère qu’avait laissée la musique lorsqu’elle s’était arrêtée était meurtrière.

Les mots manquaient à la jeune femme, qui cherchait désespérément à se défaire du lien qui l’unissait à l’homme, qui l’attirait vers lui avec tellement d’intensité. Il avait fait quelque chose d’énorme pour elle, seulement en lui jouant cette musique, seulement en lui chantant cette chanson. Il lui avait ouvert son cœur avec tellement de grâce, tellement de bonté, et ce qu’elle avait vu à l’intérieur de lui la rendait toute heureuse. Elle sentait qu’elle avait trouvé son autre demie; avec lui elle se sentait mieux. Elle se sentait complète. Ses yeux éclatants ne quittaient pas le regard d’Alexis, le fixant avec admiration. Elle était pliée devant l’effet qu’il lui faisait, et elle rêvait déjà à un avenir meilleur avec lui. Elle rêvait aux moments heureux, et elle s’imaginait profiter des étreintes infinies et des moments de passion. Elle réalisait tranquillement la réalité de la chose. Les tiraillements et la discorde qu’elle ressentait, la querelle qui prenait lieux dans son esprit continuait de se dérouler. Chacun des deux camps grondaient plus fort encore. Elle était confuse. Heureuse et malheureuse en même temps. Christie se défaisait lentement de sa carapace épaisse; cette carapace dans laquelle elle s’était sentie en sécurité de tous les malheurs du monde; cette carapace qui l’avait protégée; cette carapace qui était si épaisse, tant sa peine et son chagrin avaient été grands. Elle se défaisait de cette barrière étouffante, et elle avait tellement peur. La tension était forte. La tentation était immense. Cet instant précis, elle s’en rappellera toute sa vie...

...Et le souvenir qu’elle en gardera lui sera très précieux....

Christie voulait goûter à la noirceur. À sa noirceur. Elle voulait balancer du côté d’Alexis, elle voulait tomber dans un nouveau monde, ce monde dans lequel il faisait beau de vivre. Elle avait renoncé à cette vie pleine de joie et de promesses lorsque les êtres les plus chers à son cœur l’avaient quitté. Mais maintenant, elle avait fait son deuil, et elle désirait plus que tout d’être aimée. Elle voulait sa vie que le destin lui avait dérobée. Elle désirait cette partie de son cœur qu’on lui avait arraché. Tout ce temps, elle avait été esseulée, attristée, dérangée, et elle n’avait pas mérité de subir tout ce chagrin. Sa vie avait été un supplice, une grande souffrance, une affliction, pourtant elle n’était pas responsable de cette désolation. Elle valait beaucoup plus que ça. Elle sentait des ailes lui pousser dans le dos, et c’était grâce au ténébreux. Il lui donnait espoir, et c’est tout ce qu’elle n’a jamais pu demander. Toute seule, tout ce temps... Tout ce temps elle avait ignoré ce besoin urgent de se déprendre de cette fatalité. Elle s’était cachée de honte, alors qu’elle aurait dû s’imposer avec fierté, car elle était forte et accomplie. Elle ne voulait plus disparaître... Elle devenait brave, et c’était lui qui inspirait en elle cette émotion.

La voix mielleuse d’Alexis vint à nouveau apaiser l’esprit léger de la jeune femme, la berçant, la flattant, et plus il parlait, plus il était beau. Son regard perçant la séduisait, et elle s’y perdait; elle se perdait dans leur profondeur éternelle, elle s’égarait dans leur radiance. Ses paroles étaient belles et enjôleuses, pleine de sens et de poésie. Son air, sa stature le rendait remarquable, et son sourire venait chercher en elle le plus doux, le plus beau des sentiments. Elle tombait sous son charme, et elle se résignait devant la puissance de cette attirance. Christie était pendue à ses lèvres, alors qu’il s’arrêta de parler. Elle se sentait belle. Il parlait d’elle d’une certaine manière affectueuse et plaisante, et elle se sentait importante. Elle aimait ce sentiment. Rougissant sous les compliments du monsieur, elle ne put empêcher de rire de timidité, baissant le regard au sol. Elle ne comprenait pas comment ni pourquoi elle avait pu faire autant impression devant cet homme. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi lui-même lui plaisait autant. Elle préféra ne pas répondre à cette question. Les mystères de la vie étaient faits pour rester incompris...

Alexis se leva de son siège, afin de répondre à la taquinerie que la jeune femme avait faite un instant plus tôt. Le sourire de la jeune femme s’étira devant le théâtre comique du ténébreux, et un rire s’échappa de ses lèvres. Préférant ne pas suivre cette comédie, la jeune femme se contenta de le fixer d’un air empli de malice.

-Hey! Coquin...!, lâcha-t-elle, lorsqu’il lui pinça le nez. C’était tellement étrange; Christie sentait qu’elle connaissait Alexis depuis plus longtemps que ça. C’était la façon dont ils pouvaient passer d’un moment de confidence, de grande tendresse et de fortes émotions à un moment de folie qui prouvait leur complicité déjà très mature. La jeune femme était vraiment intriguée, et un court moment elle se perdit dans ses pensées.

Qu’est-ce qui se passait? À nouveau la peur envahit les membres de la jeune femme. Tout se passait si vite. Alexis était imprévisible, et tout ce qu’il faisait l’impressionnait, faisait grandir l’affection qu’elle avait pour lui. Elle n’avait jamais connu ça avant. Son monde était chamboulé; Alexis avait répondu à son signal de détresse. Son sauveur était là, enfin là, enfin devant elle. Il n’avait rien de typique, rien comme les autres. C’était lui. Lui, juste là. Lui! Ce petit bonhomme qui l’avait apostrophé seulement quelques moments plus tôt, en bas, dans le restaurant; qui s’était assis à sa table d’une manière hors de l’ordinaire; qui l’avait convaincu en un rien de temps de se confier à lui, de lui expliquer la source de son chagrin; qui l’avait charmée en un moment. C’était cet homme-là, qui maintenant tenait le cœur de la jeune femme dans ses mains, et elle n’était plus seule. Il était là, prêt à l’aimer. Et elle voulait l’aimer. Christie était prête à croire au coup de foudre, car rien d’autre ne pouvait expliquer ce phénomène. Comment avait-il fait...? Comment... Pourquoi lui? Comment lui...?

La main d’Alexis se posa sur son visage, et son contact chaud rappela la jeune fille à la Terre, qui abandonna ses pensées. À nouveau son regard plongea sans celui du ténébreux. La main de l’homme explorait les traits de Christie, et les deux individus partageaient un moment tellement intense. Leurs visages se rapprochaient, et le cœur de la délicate femme battait plus vite, plus fort encore. Elle pouvait lire dans ses yeux toute la sincérité du monde, qui chassait toutes ses craintes. Elle lui faisait confiance avec tout son cœur. L’homme prit la parole, et son souffle vint chatouiller le visage stupéfié de la romantique espionne. Il parlait, parlait encore comme il l’avait parlé, et Christie devenait dépendante de ses mots. Elle était comblée, elle voulait le serrer, l’embrasser. Les lèvres d’Alexis continuaient de former ses mots si tendres, si beaux, qui apaisaient son esprit concerné. Elle se sentait si légère, comme si elle s’évaporait. Elle avait l’impression de disparaître graduellement, de pâlir, de s’éroder en poussières.

Le bel homme fit quelques pas vers l’arrière, et Christie avait quitté avec regret cette étreinte. Il avait tenu son visage avec tellement de délicatesse... Elle le fixa un court moment avec désespoir, ne comprenant pas trop ce qui se passait. Les mots lui manquaient : elle se tut donc. Alexis avait une idée en tête, mais elle ne l’avait pas deviné tout de suite. Il tendit la main vers l’avant, et dans sa paume se matérialisait des filets d’ombre, qui semblaient s’unir pour construire un objet.

-Alexis..., prononça-t-elle inconsciemment, confuse. Elle ne savait même pas pourquoi, mais elle avait peur. Toutes les émotions du monde l’envahissaient, et elle se sentait tellement fragile. Elle n’avait jamais été aussi émotionnelle de toute sa vie, et les sentiments qu’Alexis lui faisaient subir étaient de toute sorte. Elle observait les filets noirs virevolter, puis s’assimiler. Alexis termina finalement son œuvre, et dans sa main, il tenait une rose noire. Elle était tellement magnifique. Elle était sombre, mais belle. Elle chantait. Oui, elle chantait un air subtil, mélancolique. Elle racontait une histoire, l’histoire d’une vie; une vie rude et épineuse, cassante et cruelle, remplie d’épreuves ardues et de chemins abrupts. Une belle rose noire.

Alexis s’avança vers elle, et la lui tendit. Hésitante, Christie la prit très délicatement dans ses mains. Elle était matérielle, elle était vraie. Christie la touchait, la sentait. Elle tenait la tige entre ses doigts. La tige était froide. Les pétales étaient doux, très doux. C’était tout simplement magnifique. Christie se promit de la garder très précieusement. C’était la plus belle chose...

-J’aime la représentation que vous en faites, Alexis..., murmura-t-elle, attendrie par ce magnifique cadeau, mais je doute être comparable à la beauté de cette rose. Elle est tellement parfaite... C’est... Merci... Merci, Alexis...

Elle leva la tête, posant à nouveau le regard sur celui du ténébreux. Leurs visages étaient très proches. Elle pouvait de nouveau sentir son souffle. Ils se rapprochaient. Tranquillement ils se rapprochaient. Le cœur de la jeune femme battait avec plus d’intensité. Leurs lèvres se frôlèrent. Christie sentait les caresses de l’homme sur ses bras, goûtant enfin à la noirceur du bel homme. Elle prolongea le baiser le plus longtemps qu’elle puisse. Elle avait les yeux fermés, les sourcils légèrement froncés. Elle était enchantée, entourée d’une sensation de pur bonheur. Il y avait des papillons dans le ventre. Les caresses se faisaient de plus en plus intensives. Elle ports ses mains sur le visage d’Alexis, caressant ses joues, pressant ses lèvres contre les siennes. La sensation la rendait folle : elle ne sentait plus son corps. Ses jambes s’engourdissaient, ses bras descendirent sur le torse du magnifique prince, puis ils entourèrent sa taille. Leurs lèvres se séparèrent; leurs corps s’éloignèrent. Alexis lui tourna le dos, s’excusant du geste qu’il venait de poser.

-Mais pourquoi vous vous excusez... ? Alex--Alexis je--vous ne voyez pas que moi auss...

Elle aussi bégayait. Elle avait remarqué qu’il avait eu de la misère à prononcer les mots, comme elle. On pouvait voir l’effet que l’un faisait à l’autre. Leurs sentiments étaient réciproques... Christie marcha vers lui, puis le contourna pour se mettre face à lui. Elle ne parla pas. Son regard en disait long... Elle se rapprocha à nouveau de lui et l’embrassa langoureusement. Elle ne comprit pas son geste, car elle ne le connaissait pas assez... Elle ne le connaissait pas assez pour l’aimer autant, pour autant vouloir l’embrasser, le serrer. Mais pourquoi alors...? Pourquoi avait-elle ce besoin d’être proche de lui...? Elle mit fin au baiser, l’observant un long moment durant lequel elle resta silencieuse. Ses bras entouraient le cou du ténébreux, ses yeux le fixaient avec intensité. Elle ne voyait que lui.... Elle ne voulait que lui.

Puis, une alarme sonna, et Christie sursauta vivement. L’alarme provenait de la poche de ses pantalons. Cette alarme... Comme si ça pouvait être possible, le cœur de Christie battit plus vite encore. Elle était terrorisée. Ses yeux s’humectèrent légèrement, tellement elle avait peur. Non, elle ne voulait pas. Elle n’avait pas la force. Elle avait peur...

-Euh... Alexis, je dois vous laisser. Si cette alarme sonne en ce moment, c’est qu’il y a une énorme urgence... Je ne peux pas vous dire...

Lui parler de son travail? Hors de question. Christie peinait à prononcer ses mots, tellement elle avait peur. C’était une alarme rouge que l’OWI lui envoyait. Et quand il y avait alarme rouge...

-Alexis je pars! Je... vous n’allez sans-doute jamais me.....

[HRP: le beeper ne sonne pas à cause de l'attaque.]

Les ténèbres sans nom, une force indescriptible des ombres qui nous poussent vers l'impossible, mais qu'est-ce exactement? L'émotion d'un mystère, d'un secret inconnu à l'origine douteuse. C'était ainsi que pouvait être représenter cette étrange rose noire. Symbole d'une nuit sans espoir, l'incarnation des larmes perdues d'un démon. Que cherchait un monstre sanguinaire assoiffé de pouvoir dans cette manifestation d'un amour impossible? La rédemption pour le déchu des âmes, ce n'était pas croyable et d'une injustice légendaire pour ceux qui n'avaient pas eu de secondes chances. Pourquoi alors la rose vide de toute joie de vivre? Elle n'était que noircie par le désir incompris d'un être malaimé. Pourtant, Alexis se rappela une chose. Le sacrifice était toujours nécessaire... Avait-il seulement droit à ce qu'il avait jeté? Pouvoir récupérer un bien si précieux aux yeux du cœur? Le droit d'aimer n'était plus un droit pour lui, il était devenu un poids, une pression l'empêchant de se dévier vers son objectif véritable. Mais il ne pouvait résister, il devait savoir ce que le résultat donnerait...

La représentation était parfaite, ainsi, la création s'éloignait de la beauté de son créateur qui avait les pires défauts au monde. Il en était si fier, c'était dans sa nature d'aduler ses propres valeurs obscurs. Ce soir, il avait pris l'importante décision de diriger son chemin dans une autre direction, contraire à la routine tracée. Renier son propre destin était un sacrifice nécessaire si on souhaitait laisser la vie nous profiter de la plus belle façon possible. Le ténébreux n'était plus mutant, ni même humain. Il était devenu, le temps d'une soirée, un amoureux désillusionné de toute réalité et éloignant la réalité pour échapper à sa destinée. La compréhension passait par le courant physique partagé, c'était donc l'origine du baiser qui était en cause. Il cherchait simplement à comprendre ce qui lui arrivait, si c'était bon ou mauvais d'avoir agit de la sorte, écoutant ses émotions et reniant ses instincts. Se regarder dans le miroir et se tourner le dos, ignorer notre véritable visage, c'était le seul moyen pour Alexis de s'abandonner dans l'intensité du moment...

Alexis avait tourné le dos à Christie, il ne supportait que très mal son geste. Pourquoi, pourquoi, pourquoi... Le ténébreux avait toujours eu en horreur les petites affections humaines de la sorte et il s'était laissé à la pire d'entre elles. Mais l'effet ressenti, la sensation qui ne pouvait être déposée dans le courant verbal des mots, c'était unique, voir utopique. On ne pouvait y croire mais elle était présente et tangible, tout comme la rose sombre et froid du ténébreux. Le silence adoptait des propriétés très désagréables et le jeune homme se sentait de plus en plus mal à l'aise dans cette situation. Pourquoi il cherchait l'excuse? Et d'abord, à qui il s'adressait? À la jeune femme ou à sa propre âme, celle qui pleurait le désespoir d'un amour jamais acquis? Il n'avait aucunes réponses, aucunes issues, ce n'était plus un jeu à présent. Il faisait face à l'adversité la plus coriace qui ne l'avait jamais opposé. Un adversaire, souvent dur de roche et enterré dans les plus profondes abysses spirituels mais immortel... La seule parcelle d'humanité qui pouvait espérer une petite survie dans un terrain aux conditions difficiles... Un cœur, son cœur, celui de Alexis Kane, le criminel sans remords pour les victimes condamnées à une fin tragique. Et il n'avait même pas de compassion pour son propre puits émotionnel...

Comme une chasseuse qui chassait sa proie, Christie osa revenir à la charge, contournant l'espace vide autour du ténébreux pour revenir se poster directement en avant de lui. L'organe vital de Alexis, l'épicentre de toute sa vitalité, battait à un rythme effréné. Pourtant, son cœur était mort depuis belle lurette mais ça n'a pas empêché de ressusciter de façon magistrale, directe et surtout inattendue. Le pouvoir féminin était d'une pureté incroyable, il agit toujours dans les meilleures intentions. Ça se lisait très bien dans les yeux profonds de la jeune femme. Elle n'avait aucuns malices, seulement le supplice de voir le bonheur fusionné pour ces deux êtres en quête d'un espoir infranchissable. Tout semblait plus clair et plus proche, beaucoup trop proche...

Et elle l'embrassa, captivant Alexis dans une autre surprise qui lui réservait bien des soucis. L'essence de ce geste était encore plus forte et intense, il n'aurait pas été en mesure de l'identifier avec exactitude. Malgré tout, malgré son éternelle remise en question, il répondit au geste dans une grande intensité, s'échappant totalement de son habituelle prison des ténèbres. Il avait franchi avec succès la première série de barreaux qui l'empêchaient à tout prix de se diriger vers le sacrifice rejeté au début de sa grande carrière tâchée de sang et de meurtres. Sans savoir exactement comment, il voulait être heureux et joyeux comme un être normal pouvait l'être. Ce qu'il semblait oublier, c'est qu'il était l'opposé parfait de la conformité à la société. Mais il s'en moquait, il voulait oublier son passé et ne réfléchir qu'au présent, laissant aussi de coté l'avenir qui ne serait pas aussi rose. Après cette soirée, après cette musique, après ce baiser, il redeviendrait aussi obscur que la nuit, aussi assombri que la rose de son rêve inachevé... Plus il l'embrassait, plus le besoin urgent de faire une autre étape devenait inévitable. S'il s'y aventurait, ce serait terminé pour lui, faire marche-arrière serait une impossibilité indestructible...

Après un long instant, la liaison des paires de lèvres se détacha, ramenant les deux personnages pour un nouveau face-à-face. N'ayant plus assez de se partager leur salives aussi brulantes et épaisse que de la braise volcanique, leur regards se mêlaient à la force de leur émotion. Le contact était doux et chaleureux, sentir les mains de la belle dans le derrière de son cou était digne du toucher d'un ange des cieux. C'était le meilleur des desserts, c'était le sommet d'un amour inexprimé, interdit aux aberrations du destin. Dans le domaine passionnel, il ne pouvait espérer mieux. Tout était beau et resplendissant de vérité, de sincérité, d'honnêteté. Alexis avait l'impression de dormir, de laisser son esprit vagabonder dans la douceur d'un sommeil réconfortant. Le ténébreux avait laisser un petit détail de coté. Il arrive, alors que son propriétaire dort, que le cerveau humain crée des illusions et images mentales correspondant à l'inconscient de l'imagination. Le terme le plus exact serait le rêve. Oui, Alexis était entrain de vivre le rêve parfait. Le rêve d'aimer, d'être aimer et de ne pas avoir à se soucier du reste. Il était sur le point de se réveiller et jamais il n'aurait pu prévoir un tel choc...

Une bruyante alarme sonore retentit, brisant le silence qu'avait tissé les deux personnages. Qu'est-ce que c'était? Qu'est-ce que cette manifestation de bruit dans l'air ambiant pouvait bien représenter? Habituellement, une alarme signifiait la présence d'une urgence de circonstance. Pourquoi une urgence, qu'est-ce qui pouvait être plus important que leur bonheur en ce moment présent? Autre chose, car Christie confirma les doutes du ténébreux, elle devait quitter les lieux. Tout s'était assombri, noirci, ce n'était plus du tout la même lumière. Une déception de plus ne ferait pas la différence entre la victoire ou la défaite mais celle-ci serait difficile à avaler. Plus que tout, Alexis ne voulait pas y croire, il ne voulait pas se laisser à l'idée qu'il pouvait être victime d'une telle traitrise. De plus en plus, il tombait dans la réflexion, et la paranoïa. Il imaginait tous les scénarios possibles, il s'était laissé avoir dans ce jeu dangereux... Non... Non... Il murmurait...

" Non... Non... C'est impossible... Vous me laissez tomber, vous laissez les ténèbres envahir mon âme de nouveau... Vous êtes comme les autres, vous ne comprenez donc rien à ce que je peux ressentir en étant un monstre assoiffé de pouvoir... "

Plus ses mots défilaient hors de sa bouche, plus son corps adoptait une étrange métamorphose. L'ombre devenait une matérialité de la réalité, emplissant et couvrant chacun des pores de sa peau. Il se transformait, devenait le cauchemar propre aux humains. Soufflé par son propre désespoir, l'ombre qu'il était devenu se recula, échappant à l'emprise de l'étreinte féminine qui l'entourait. Complètement immatériel, un amas de ténèbres dans une étincelle qui perdait de son lustre, une étoile qui avait explosé de tous ses résidus. Une importante distance séparait maintenant le bien du mal, il s'était laissé amadouer une fois de trop... Quelque chose piquait son œil, comme un intrus liquide, une larme? Une goutte d'ombres qui défilait de son puits, venant percuter le sol dans une tristesse incomprise...

Redevenant corporel suite à quelques instants, Alexis fixa Christie, complètement atterré par la situation. Il lui avait fait confiance, il lui avait tout donné, lui ayant servi sa plus grande pureté sur un plateau d'argent. Mais cette alarme d'urgence l'avait fait douté au plus haut point... Pour qui elle travaillait? Peut-être était-ce un agent qui voulait l'emmener dans une cellule pour des expériences scientifiques inhumaines? Il ne savait pas, il ne voulait pas savoir, il en savait déjà trop et son cœur ne pourrait sans doutes pas supporter la vérité bien qu'il s'en doutait grandement. Penchant la tête vers le sol, fermant les yeux dans un long soupir, le ténébreux s'exprima dans un calme vibrant d'émotion. À la fois triste et déçu, on le sentait enragé et dévasté...

" Qui êtes-vous... Une inconnue qui n'a pas osée révéler son identité, aviez-vous donc si peur de dévoiler la vérité? Et pourquoi vous ne pouvez pas me dire? Pour qui travaillez-vous? À qui vouliez vous me livrer? Avouez donc que tout ceci n'était qu'une mise en scène pour organiser ma capture! Jusqu'où vous êtes vous jouer de ma personne? Jusqu'à quel point vous avez transmis le mensonge à mon cœur? Vous partez, vous fuyez ce que vous redouter le plus, il n'y a rien de nouveau dans ce réflexe de l'humanité... "

Tournant le dos à cet ange déchu de son piédestal, il s'approcha de la grande fenêtre, déposant une de ses mains sur la façade vitrée. La nuit était devenue maitresse, le moment idéal pour s'échapper dans son univers. Il n'avait plus rien à faire ici, il s'était dévoué corps et âme à une cause perdue d'avance dans la brume de l'ignorance. Les yeux nageant dans l'humide, Alexis dirigea son poing vers la fenêtre et la frappa avec force, fracassant chacun des carreaux de verres sur le chemin. Les morceaux traversèrent sa chair comme le couteau que Christie avait utiliser pour lacérer les espoirs perdus de l'homme. Le sang se déversait, rouge de mort et de torture. Cette maigre souffrance lui importait peu à présent. Se tournant légèrement sur le coté, revenant poser son regard sur celui de la jeune femme, il souleva sa main en présentant ses doigts vers l'avant. Des petites vagues de ténèbres s'échappaient de l'extrémité de chacun d'eux, prêt à être relâcher de leur chaines. Le monstre se prononça de nouveau...

" Vous savez, j'y ai cru à ce rêve d'une ridicule utopie. Était-ce une erreur ou simplement un aveuglement des sentiments? Je l'ignore... Mais peut-être comprendrez-vous mon mal si je décide de vous y plonger... Jamais me revoir? Qu'est-ce que ça changerait après tout, je ne suis qu'une ombre envahie parmi tant d'autres. Laissez moi vous offrir la chance de faire le retour vers la réalité que nous avons reniés... Vous aviez raison, vous partirez... Dans mon univers... Sans jamais avoir l'occasion de recroiser le chemin des pas d'une créature de la nuit... Assoiffé de sang, assoiffé de pouvoir, porteur du destin de la Mort, je ne suis que le reflet ombragé des désirs obscurs de votre âme... Prenez une minute de silence voulez-vous... Regretter le meurtre sauvage et sans regrets du coeur de la pire des aberrations vivant en ce monde... "

Faisant claquer ses doigts, Alexis laissa l'étendue de ses capacités faire effet. Une importante déflagration d'énergie noire se propagea dans toute la pièce, inoffensive mais efficace. Toute la salle avait été plongé dans des ténèbres épais et denses, impossible donc à toute vision humaine de la traverser. Seul le Prince, le Seigneur Noir pouvait observer son domaine dans toute sa splendeur. S'évaporant dans les ténèbres comme à son habitude, il circula pendant un moment proche de Christie. Il en profita pour lui glisser quelques dernières paroles. Le murmure était glacial, mais on voyait bien la tristesse dans son timbre de voix...

" Adieu, charmante inconnue... Vous devenez un ancien rêve noyé dans les songes d'un monstre... "

Ne s'attardant pas plus sur le sujet, l'ombre qu'il était fila à toute vitesse à l'extérieur, circulant dans la nuit pour s'échapper de ces lieux de cauchemar. Il préférait ne garder aucuns souvenirs de cette soirée, de peur de se fracasser contre l'obstacle des émotions. Ce serait cultiver une faiblesse propre à l'humanité, ça en serait même dégoutant vu sa nature. L'humain enterré en lui avait été ressuscité mais aussitôt le rêve brisé, toute la balance basculait... Le ténébreux était redevenu le ténébreux et le resterait à jamais, c'était sa vie, sa raison d'être, son destin...

(Comme tu peux t'en douter, Alexis a quitté le sujet, libre à toi si tu veux terminer avec une réponse malgré tout )