"Personne n'a autant besoin de vacances que celui qui vient d'en prendre."
Albert Hesbade
Pas croyable. Moi qui croyait que la Compagnie était capable de retrouver n'importe quel "évolué" en un claquement de doigt grâce à une technologie avancée sélectionnée par le gouvernement uniquement pour celui-ci. Que dalle ! Au contraire, il faut se contenter des méthodes de flics habituelles, et pas moyen d'aller plus vite, même si la présence de certains "mutants", comme ils les appellent, nous évite assez souvent de mendier auprès des juges pour avoir accès à des mandats, et ainsi pénétrer dans la demeure du suspect pour espérer y trouver une preuve. N'importe quoi. La justice des humains est vraiment mal foutu. Et ils n'ont pas vraiment évolué depuis l'Inquisition. A l'époque, on torturait les gens pour les forcer à avouer, qu'ils soient coupables ou non. La plupart du temps, les "coupables" étaient choisis pour profiter au clergé et à la noblesse. Aujourd'hui, on craint tant que les avocats poursuivent les flics pour abus de pouvoir que les criminels s'en sortent quasiment sans arrêt. Ce sont les plus riches et les plus influents, toujours eux, qui ont le pouvoir en ce monde.
L'exemple le plus notable fut celui de Jacques de Molay, grand chef de l'Ordre des Templier, aux alentours du début du treizième siècle. Je n'étais pas encore née, à cette époque. Mais les rumeurs comme quoi il aurait été forcé à avouer des crimes dont il était innocent par la torture était significative. Mais je dois avouer que ce personnage m'a surtout interessé à cause de l'histoire de la malédiction qu'il aurait lancé à l'encontre des responsables de son exécution, et de la déchéance de son Ordre. Intervention Divine ou non, ces responsables moururent étrangement les uns après les autres.
Aujourd'hui encore, j'en viens à me demander s'il était comme moi...
Quant à mes idées, je préfère ma méthode pour rendre la justice. Je suis mes victimes jusqu'à ce qu'elles soient en flagrant délit. Et là, je me fais un plaisir de leur montrer à quel point c'est mal de violer ou de tuer son prochain. Je ne pense pas pouvoir annoncer sincèrement qu'à ma mort définitive, mon karma sera assez pur pour me permettre de rejoindre le repos éternel et le Paradis de Krishna. Mais d'un autre côté, pour briser le cercle perpétuel des réincarnations, il me faudrait disposer d'un karma totalement neutre. Pou atteindre cela, je pense qu'il me faudrait suivre une vie de brahmane dévot pendant toutes mes futures existences...
Quoi qu'il en soit, je suis aujourd'hui, moi, Sita, la jeune indienne de six cent quarante-huit ans, je suis en croisade. En croisade contre un monstre.
Sylar.
Et je n'aurais pas de repos avant de lui avoir fait payer au centuple tout ce qu'il a fait...
Alors que je marche dans la rue, emmitouflée dans mes vêtements chauds pour me protéger du froid glacial de l'hiver, et je me fais soudainement heurter par une petite rouquine, qui s'empresse de s'excuser. Elle m'est rentrée en plein dedans, et si je n'avais pas moi-même été plongée dans mes pensées, elle se serait certainement heurtée à quelqu'un d'autre de beaucoup moins sympathique. Vivre dans une ville soufflée par une désintégration nucléaire ne rend pas forcément très aimable. Le choc m'a fait lâcher le talisman de bois que je tripote entre mes doigts depuis une heure.
"Ce n'est rien..."
Je me penche et ramasse mon bien, que je remet prestement dans ma poche. Il n'a aucune valeur matérielle, mais j'y tiens plus qu'à ma propre vie. C'était ma mère qui me l'avait offert pour mon huitième anniversaire, afin de me protéger des mauvaises divinités, comme les Yakshini, par exemple...
Je me met à regarder la damoiselle. Son sang m'indique facilement qu'elle est aussi spéciale que moi. A croire que tous les évolués se sont donnés rendez-vous ici...
"Moi aussi, j'étais ailleurs..."
Oh ! Arrêtes un peu tes conneries, Sita ! Tu n'es pas du genre à déprimer en ressassant le passé, alors ressaisis-toi et concentre-toi sur le principal : Vivre !
Alors que je regarde la jolie rouquine, je me met à la détailler du regard, assez pour la mettre mal à l'aise, même si ce n'est pas mon intention. Je réponds alors à son sourire par un autre, tout aussi charmant :
"Je ne vous ai pas fait mal, j'espère ?"